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de Bossuet, durant les chœurs d’Athalie ou d’Esther, il a continué de chanter à la cantonade quelque noël satirique. À la bonne heure ! la vivacité de son injustice témoignerait au besoin de l’intimité de ses études sur le grand règne. On n’en veut jamais de cette sorte à un homme et à un roi sans avoir de très proches raisons.

La contre-partie du paradoxe l’a conduit dans sa spirituelle fantaisie de Létorière à faire de Louis XV à diverses reprises le plus adorable maître et à ne l’appeler que cet excellent prince. C’est peut-être un des droits piquans du roman historique que de risquer ces reviremens soudains de jugemens. Ils y sont du moins plus de mise que dans l’histoire, qui en a tant abusé de nos jours. Tel n’a rabaissé Charlemagne que pour faire à Louis-le-Débonnaire un pavois.

Latréaumont, malgré l’habileté de l’agencement, manquait d’un genre de ressources : la tentative de livrer Quillebeuf aux Hollandais et de soulever la Normandie en 1674, était par trop dénuée de raison ; une telle échauffourée n’allait même pas à se colorer selon les perspectives du roman. Il en est autrement dans Jean Cavalier : la révolte des Cévennes, qui ensanglanta les premières années du XVIIIe siècle, fut sérieuse ; elle sortit du plus profond des misères et du fanatisme des populations ; elle coïncida avec les grands évènemens de la guerre de la succession ; elle fit ulcère au cœur de la puissance déclinante de Louis XIV. Villars, vainqueur d’Hochstedt, y fut employé, et y parut tenu en échec un moment. Enfin cette révolte désespérée produisit son homme, son héros, héros assez équivoque sans doute, figure peu achevée et très mêlée d’ombre, mais par cela même un commode personnage de roman, Jean Cavalier.

Il faut rendre d’abord à M. Sue cette justice qu’il a sérieusement étudié son sujet, et non-seulement dans les sources ouvertes et faciles, mais dans les plus particulières. On lui doit, à la fin de son quatrième volume, la publication de lettres manuscrites d’une sœur Demerez de l’Incarnation, véritable gazette où sont notés au fur et à mesure par une plume catholique les principaux contre-coups et les terreurs de cette guerre des Cévennes. L’introduction qui précède le roman, et qui m’a rappelé un peu le vieux Cenevol de Rabaut-Saint-Étienne, rassemble avec vivacité les diverses phases de la persécution. Ici les reproches de l’auteur contre Louis XIV deviennent fondés ou du moins plausibles ; il est piquant et il n’est peut-être pas faux de soutenir que les rigueurs contre les protestans augmentent graduellement en raison directe des scrupules et des remords du grand roi, et qu’il croit, à la lettre, faire pénitence à leurs dépens. Mais M. Sue