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embrasse l’Égypte, l’Arabie et une partie de l’Afrique, fût devenu indépendant comme celui du Maroc. »

Quoiqu’il soit téméraire, surtout de nos jours, de douter de l’infaillibilité des paroles de Napoléon, je me permettrai de faire remarquer que Méhémet-Ali me semble avoir fait justement le contraire de ce que voulait Napoléon, et c’est peut-être pour cela qu’il est encore debout et qu’il a fondé un grand pouvoir, sinon l’empire arabe. Ainsi Méhémet-Ali a recruté ses soldats en Égypte, je l’avoue, mais il n’a pris parmi les Égyptiens aucun officier : le commandement appartient partout aux Turcs ou Mameloucks ; ainsi il n’a pas mis, comme en Albanie, l’autorité entre les mains des habitans du pays, et par là il a échappé, et l’Égypte avec lui, à cette anarchie qui est l’état permanent de l’Albanie. Enfin, il n’a jamais fondé ni voulu fonder d’empire arabe, car il s’est toujours reconnu sujet de la Porte ottomane, en dépit de ses admirateurs européens, qui lui conseillaient, comme M. Clot-Bey, de proclamer son indépendance absolue.

Que croire donc maintenant ? M. Clot-Bey, dans sa pensée favorite d’un empire arabe, a contre moi Napoléon ; mais contre M. Clot-Bey, j’ai pour moi Méhémet-Ali. M. Clot-Bey lui-même serait embarrassé de choisir.

Je reviendrai plus tard sur ces idées d’indépendance et sur ce que Méhémet-Ali me paraît lui-même en penser. Je veux venir, sans plus attendre, à un autre reproche que M. Clot-Bey fait à Méhémet-Ali, parce que ce reproche me paraît encore un éloge, et que, par je ne sais quel malencontreux hasard, où M. Clot-Bey y voit un tort dans son héros, je vois presque un mérite.

« Les rayas, dit M. Clot-Bey, ne participent ni aux mêmes charges ni aux mêmes avantages politiques que les musulmans… Opérer un rapprochement entre les rayas et les musulmans, en accordant à ceux-là l’égalité des droits, tel est le but que doit se proposer en Turquie toute politique prévoyante et qui veut sincèrement la régénération de l’empire ottoman… Pour ma part, si j’avais un avis à donner au vice-roi d’Égypte, je lui conseillerais d’établir l’égalité civile et politique entre ses sujets musulmans et ses sujets rayas. » C’est ce que Méhémet-Ali n’a point fait, et c’est ici surtout que je remarque la différence entre lui et ses admirateurs ; ses admirateurs, qui raisonnent avec leurs idées européennes, et qui ne trouvent bon que ce qui est européen ; Méhémet-Ali, qui veut bien emprunter à l’Europe ses arts, ses machines, ses sciences, son industrie, mais qui