Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/919

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
915
MÉHÉMET ALI.

pêche pas que ceux-ci ne soient, de temps en temps, les uns assiégiés, les autres déposés, quelques-uns étranglés. S’il me donnait ce pachalick, je lui paierais un fort tribut, et cependant j’y gagnerais encore ; car, en assurant la tranquillité du désert, le commerce de l’Inde reprendrait son cours de ce côté. C’est là une des routes de l’Inde, comme l’Égypte. Ce parti serait assurément le meilleur pour tout le monde, pour l’Europe, pour la Porte et pour moi ; mais l’Angleterre ne voudra pas que je lui serve de préfet de police sur l’Euphrate ; c’est à peine si elle me veut à ce titre sur le Nil, pas plus que la Russie ne m’a voulu pour visir à Constantinople en 1832, et elle a raison ; mais ce qui m’a toujours étonné, c’est que vous autres Français, vous ne m’ayez pas voulu non plus à Constantinople : vous y avez beaucoup perdu. »

Ces paroles, dont je puis au moins garantir le sens, ces paroles sont curieuses à étudier en ce moment.

L’Angleterre ne veut pas de Méhémet-Ali pour préfet de police en Égypte, et l’avenir dira si en cela elle a tort ou raison. Que peut désirer en effet l’Angleterre ? une route dans l’Inde, une route qui soit courte, une route qui soit sûre. Or, l’Égypte est précisément cette route courte, et, avec Méhémet-Ali, cette route sûre. L’Angleterre croit-elle que cette sûreté serait plus grande, si elle était chargée elle-même de l’établir ? croit-elle qu’avec une suite de postes fortifiés dans l’isthme de Suez, elle assurerait à son commerce un plus libre passage que ne le fait Méhémet-Ali ? Non certes. Pense-t-elle que Méhémet-Ali veuille jamais lui fermer ce passage ? Il ne le peut pas. Car, d’une part, interdire l’isthme de Suez au commerce anglais, ce serait priver l’Égypte d’une grande richesse, et Méhémet-Ali calcule trop bien pour jamais faire cela ; et d’une autre part, l’Angleterre, avec sa supériorité maritime, a prise sur le pacha de deux côtés, par la Méditerranée et par la mer Rouge. L’Angleterre n’a donc rien à craindre à ce sujet. Est-elle sensible à la gloriole d’arborer son pavillon sur quelques petits fortins et de faire elle-même la police du désert, police coûteuse quand elle sera faite par des Européens contre les Arabes ? Nous ne croyons pas cela. Quand il y a en Égypte un pouvoir civilisé, personne n’y gagne plus que l’Angleterre, car elle a une route ouverte dans l’Inde, sans en faire les frais. Si donc nous écartons du débat les vanités nationales, l’intérêt évident de l’Angleterre et de l’Europe entière en Égypte, c’est que l’Égypte soit une grande route dont la police soit faite par une puissance neutre. Le pouvoir de Méhémet-Ali résout admirablement ce problème.