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de compléter notre cavalerie, de remplir nos arsenaux et de fortifier nos villes. Si le ministère faisait plus, ne dirait-on pas avec raison qu’il va au-devant de la guerre, ou qu’il obéit à sa destinée, à sa nature, qui sont de l’amener ?

Que faire donc ? Courir en Orient ? Mais nos vaisseaux croisent dans la Méditerranée et protègent nos intérêts. Y guerroyer ? Mais pourquoi si loin ? L’Océan, au besoin, serait plus près de nous, et les côtes de l’Irlande, où souffrent, la rage dans le cœur, cinq millions de catholiques, sont moins éloignées que les eaux de l’Égypte. En se réservant pour des actes plus décisifs, on aurait en même temps les avantages de la circonspection et de la prudence, et, le cas échéant malgré elle, malgré ses efforts pour réparer le mal qu’elle n’a pas fait, la France n’aurait pas besoin de lancer bien loin sa flotte et ses soldats pour rencontrer ceux qui se seraient fait un jeu de quitter le rôle d’amis pour prendre celui de ses plus actifs adversaires. Quant à l’Autriche et à la Prusse, la Russie se chargerait bientôt de nous venger ; le repentir les attendrait, l’une dans les principautés et l’autre dans ses provinces du nord, comme aussi l’Angleterre, qui trouvera à Constantinople, occupée par les troupes russes, la récompense de sa fidélité aux alliances et de son respect pour les engagemens !

À ceux qui voudraient voir le gouvernement prendre l’initiative, et se jeter avec brutalité au milieu des évènemens, on peut demander s’ils se sont bien rendu compte de la situation de la France et des désirs qu’elle doit avoir. Que veut-elle ? Ne pas être isolée ; mais on ne se donne pas des alliés à coups de canon. Ce que la France peut se proposer dans ses desseins, c’est qu’on ne remanie pas l’Europe sans elle, et ce serait la remanier en effet que d’ajouter à la force de deux puissances européennes la force que leur donnerait la possession de l’Égypte et de l’Asie mineure. Ce qu’elle peut vouloir, c’est que le statu quo soit respecté, que nulle intervention n’ait lieu, fût-elle déguisée par le pavillon ottoman, avant que les cinq grandes puissances soient parvenues à s’entendre. Eh quoi ! après deux guerres funestes, après les désastres de la campagne de Russie, après l’envahissement de notre territoire, il ne s’est pas trouvé un seul homme d’état, même parmi les plus acharnés contre nous, qui osât nous exclure des conseils de l’Europe qui s’ouvraient à Vienne, et en 1840 on voudrait en écarter la France, quand on y traite d’intérêts brûlans pour elle, ou passer outre sans l’écouter, si on l’y admet ? La France s’est-elle donc, par hasard, plus affaiblie, aux yeux des puissances, en vingt-cinq ans de paix, qu’elle n’avait fait en vingt-