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divers, se perd dans des subtilités et devient victime d’une sorte d’éblouissement. À force de se complaire dans leur propre sagacité, ils en viennent à légitimer à leurs propres yeux jusqu’à l’imposture, pourvu qu’elle soit habile et qu’elle tende à leur unique but. Comment s’expliquer autrement leurs prétendus miracles ? Il y eut parmi eux des illuminés ; mais il y eut aussi des hommes habiles qui croyaient avec Platon qu’on peut tromper le vulgaire pour le sauver. Quand l’empereur Sévère réunissait dans son culte les images de Moïse et de Jésus-Christ à celles d’Apollonius de Tyane, il ne faisait peut-être qu’obéir à l’esprit de son temps ; mais Hiéroclès, l’inventeur de la divinité d’Apollonius, voulait sans doute opposer ses miracles à ceux de Jésus-Christ, et pour combattre un Dieu, il en donnait un à sa secte.

L’unité et la simplicité même de la croyance des chrétiens, ce caractère qui frappe tous les yeux dans l’église écuménique, apparaissait déjà, même aux gentils, à l’origine de la religion. Jamais l’antiquité n’avait présenté un pareil spectacle ; ni l’institut de Pythagore, ni la religion des mages, ni les dogmes immuables des sanctuaires égyptiens, ne pouvaient en donner une idée. Réunis en concile dès les premiers siècles, les pères de l’église concentrèrent sous une formule brève et précise les principales vérités de leur foi, et ce symbole devint la règle inviolable de leur enseignement et de leur croyance. Cette simplicité, cette immobilité du symbole, rendit la propagande facile, et creusa dès le premier jour un abîme entre cette doctrine exclusive, invariable, et ces théories alexandrines, où les contraires pouvaient entrer, et qui, de l’aveu même des maîtres, pouvaient se contredire elles-mêmes impunément. Les deux doctrines opposées avaient sans doute quelques points de ressemblance, et c’est une étude curieuse de rechercher ces analogies et de les rapporter à leur véritable cause ; mais au fond l’opposition était complète, et le principe de chacune était expressément la négation de celui de l’autre. D’un côté, on se fait gloire de tout admettre et de ne rien exclure, et de l’autre on se renferme étroitement dans un symbole hors duquel il n’y a pas de salut. Ici, intolérance absolue ; là, indulgence universelle. Supposez une doctrine éclectique qui se fait gloire de n’être que cela, et cherchez quel est son contraire ; c’est une religion intolérante avec un symbole immuable : c’est le christianisme.

Aussi quelle différence ! Dès le premier jour, les Alexandrins se séparent. Les disciples immédiats de Plotin n’adorent pas tous le même dieu, et se construisent chacun une trinité différente. Dans