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L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

en devenant chrétiens, ils abdiquaient leurs honneurs, et se vouaient à la persécution et à la pauvreté. Tous les souvenirs, toutes les gloires, toute la force, étaient à leurs adversaires ; pour eux, humbles parmi les plus humbles, pieds nus, revêtus d’habits grossiers, à peine nourris, mais indifférens sur leur misère, ils enseignaient pour quatre oboles toutes les lettres humaines, et prêchaient à tout le peuple les mystères de leur religion. Ils venaient renouveler par une religion nouvelle ce vieux monde que les Alexandrins voulaient sauver par l’éclectisme.

C’est une belle et noble chose que l’éclectisme appliqué à l’histoire, pourvu qu’on ne se renonce pas soi-même au profit du passé. L’autorité des siècles est imposante, mais la raison est au-dessus d’elle. L’éclectisme sans critique a bien encore quelque poésie : il comprend, il embrasse, il concilie tout ; cela est beau et grand au premier coup d’œil, mais cela n’est ni sage ni philosophique. On n’est philosophe qu’à condition de produire. On ne ressuscite pas un système en le recommençant, mais en le renouvelant.

Ce n’est ni la grandeur, ni la sublimité des doctrines qui manquent à l’éclectisme alexandrin. Ne parlons que de Plotin. Quel monde que les Ennéades ! Il y a dans les Ennéades des croyances pour vingt siècles. Mais sur quoi reposent ces croyances ? Sur le raisonnement, sur les faits, sur l’observation ? On trouve de l’observation dans Plotin, mais il est trop clair qu’elle est insuffisante, et que les conclusions la débordent de toutes parts. Sur l’extase ? L’extase explique l’existence d’une philosophie ; elle n’en saurait justifier les résultats. Sur l’autorité ? L’autorité n’est plus rien, quand on admet toutes les autorités au même titre.

L’éclectisme, pour être compris, demande une certaine culture ; il faut, pour le créer, une érudition immense, une vaste imagination, une souplesse d’esprit à se plier à tout, à comprendre tout, à reconnaître, à deviner, à créer des analogies. Ce n’est pas là une doctrine qui puisse, à elle seule, remplacer une religion ou en retarder le triomphe. D’ailleurs le mysticisme alexandrin est un tout par la communauté de vues, d’origine et de méthode ; mais les doctrines diffèrent pour chaque philosophe : chacun forme sa synthèse comme il peut et comme il veut. Les Alexandrins d’Athènes ne relèvent pas de ceux d’Alexandrie ; Syrien, Proclus, Marinus, Isidore, sont indépendans de Iamblique et d’Olympiodore. Il se rencontre dans l’école plus d’un esprit éminent qui ne peut porter le poids de sa propre érudition, et qui, au lieu de coordonner en un grand tout ces élémens