Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

dans sa propre école, ni à combattre pour l’honneur de ses idées. Réunis dans une même pensée, soumis au même symbole, les chrétiens renonçaient même à interpréter leur foi, ou du moins ils soumettaient leurs interprétations à la censure des pères de leur église ; cette unité parfaite de doctrines concentrait sans réserve toute leur action, toutes leurs forces, et cette unique action de tout un corps était nécessairement plus puissante que les efforts divisés de leurs adversaires. D’ailleurs la hiérarchie de l’église chrétienne, avec sa discipline inflexible, remonte au temps des premiers conciles, et l’on ne saurait trop insister sur la puissance d’une pareille organisation, qui jusque-là n’avait pas eu d’exemple. Les mystères, les colléges de prêtres, les sanctuaires même d’Égypte, n’en approchaient pas. La doctrine chrétienne est la première qui proclama sans restriction la soumission absolue de la raison à l’autorité, qui fit même aux plus grands docteurs un devoir de l’humilité, et qui mit au nombre des vertus l’obéissance passive et le renoncement de soi-même. Avec de tels principes, l’église enseignante forme l’unité la plus parfaite qui se puisse concevoir ; ce ne sont pas plusieurs volontés qui s’accordent, c’est une seule volonté devant laquelle toutes les autres volontés s’anéantissent. Et cela même ne leur coûtait pas, puisque la doctrine étant commune, le prosélytisme de chacun, au lieu de nuire à celui des autres, le fortifie au contraire et lui vient en aide. Cette unité dans la doctrine, cette hiérarchie puissante, cette abdication de toute volonté individuelle, ce renoncement de soi-même, signes caractéristiques des congrégations religieuses, seront toujours pour elles, en tout temps et en tous lieux, une des plus infaillibles conditions de succès.

Ce sont là les causes extérieures qui expliquent le résultat de cette lutte. Mais quand on laisse de côté toutes ces questions de positions et de personnes, et que l’on entre dans l’histoire des idées, la seule véritable histoire d’une école de philosophie, on aperçoit avec bien plus d’évidence encore combien cette école, d’ailleurs si riche, avait peu de chances de durée. Il semblerait en vérité, à voir comment M. Matter décrit les bâtimens du musée et dresse la liste de ses habitans, qu’il s’occupe à rechercher curieusement les vestiges d’une de ces littératures entièrement perdues pour nous, et dont nous connaissons à peine l’existence par la tradition. Il s’agit pourtant de l’école d’Alexandrie, c’est-à-dire de l’école la plus féconde en livres, sinon en bons livres, et l’on pourrait dire aussi la plus féconde en systèmes ; car non-seulement chacun a le sien, mais il en est qui en