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droit d’être exigeant. Il a voulu faire, il le dit hautement, un travail complet « auquel une seconde publication ne pût rien ajouter. » Il est vrai que l’auteur se croit quelque peu prédestiné à ces sortes d’études, et que la prédestination doit donner l’assurance. « Ce qu’il y a, dit-il, de grave et de fortement articulé dans son nom n’est point demeuré sans influence sur le développement de son caractère et de son intelligence. » Cela rappelle le vers de Victor Hugo :

Mon nom saxon redit par des bouches bretonnes…

À part même le plan général, dont je ne conçois pas parfaitement l’arrangement brisé et confus, les divisions arbitraires et sans suite qui font du livre une série de dissertations peu cohérentes, plusieurs défauts me choquent dès d’abord et me gâtent les meilleures parties. On est frappé, avant tout, de ce que M. du Méril a voulu faire un livre savant au lieu de faire un bon livre. Sans doute ces deux qualités ne s’excluent pas. On peut faire un bon livre qui soit un livre savant ; mais, en revanche, on trouve beaucoup de livres savans qui sont loin d’être de bons livres, et c’est précisément le cas du volume de M. du Méril. Pourquoi en effet cette effrayante accumulation de notes sans fin qui rompent désagréablement la trame du texte et où on se perd ? La méthode discursive de Bayle, méthode fausse qui l’eût infailliblement perdu si les merveilleuses finesses de son génie critique ne faisaient oublier ce déplorable procédé ; cette méthode était préférable encore à celle que l’auteur a cru devoir adopter, sans doute par une déférence mal comprise pour l’Académie des inscriptions. Assurément M. du Méril a dû beaucoup lire, beaucoup feuilleter ; le labeur a été dur, et l’auteur a grapillé çà et là, dans sa trop abondante moisson, des textes curieux, peu connus. C’est un volume, je le reconnais, qui accuse plus de travail peut-être qu’il n’en serait nécessaire pour écrire plusieurs bons livres. Mais est-ce que la véritable érudition est complète, est-ce qu’elle dit tout ? La critique n’est-elle pas là aussi, dont le rôle est de choisir et d’éliminer ? Comment se reconnaître dans cet entassement ? On s’y absorbe. L’œil va du texte aux notes, et une fois égaré dans ces notes confuses qui ressemblent à une forêt sans clairières, il s’efforce en vain de revenir au texte ; fatigué, ébloui de ce scintillement de citations bigarrées, il ne sait où se reprendre. Cela fait l’effet d’une de ces armées de barbares décrites par Tacite et jetées pêle-mêle dans des chariots. Qui ne préférerait de beaucoup la rigoureuse discipline des légions ?

M. du Méril est, à coup sûr, fort instruit ; mais il fait montre de sa science, il la donne en petite monnaie. Son livre est comme un musée où tout est en vue, où les moindres choses, le grain de poussière et le ciron, s’ils se pouvaient voir, auraient leur case et leur étiquette. À qui, par exemple, tout cet étalage de langues étrangères peut-il faire illusion ? « L’histoire des influences de la littérature scandinave, dit textuellement M. du Méril, nécessite des connaissances philologiques presque universelles, et l’auteur doit reconnaître que les siennes sont nulles sur quelques points et fort superficielles sur beaucoup d’autres. » On voit bientôt par le sourire qui semble échapper à l’auteur à