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LITTÉRATURE DU NORD.

propos du critique Olafsen peu renseigné sur le sanscrit et sur le persan, on voit que c’est là un pur déguisement de modestie. Et en effet, sans parler des idiomes anciens et modernes que M. du Méril, en polyglotte universel, cite à tout propos, ses notes sont incessamment lardées, comme dirait Rabelais, de caractères cunéiformes et runiques, de mots arabes, turcs, syriaques, hébreux, persans, arméniens, sanscrits, égyptiens ou russes, donnés chacun dans son alphabet respectif. Avec un pareil livre, on pourrait apprendre à lire aux enfans de tous les pays. M. du Méril affirme que ces citations originales sont une garantie de bonne foi pour le lecteur, même quand il ne les comprendrait pas. Est-ce une épigramme contre le public qui ne vérifie point les assertions des savans ? Est-ce une épigramme contre les savans qui se donnent à plaisir des simulacres d’exactitude impossible à contrôler ? Quoi qu’il en soit, ce faste d’érudition est un abus, s’il n’est pas un travers. M. de Sacy, qui savait un certain nombre de langues ; M. Fauriel, qui a aussi, je suppose, quelques notions en ces matières, n’ont jamais montré ce mauvais goût.

À quoi mène, je le demande, ce laborieux entassement d’imperceptibles détails ? On ne perce pas des voies romaines tous les jours assurément ; mais il ne faut pas se perdre, en revanche, dans des sentiers trop menus. Jusqu’ici l’archéologie avait été réservée pour l’antiquité, et cela paraissait raisonnable et suffisant. La valeur, le caractère, la date des monumens, justifiaient l’éternelle insistance des érudits. Mais si on applique maintenant ce procédé au moyen-âge, ne sera-ce pas du fétichisme puéril ? À quelles monades, à quels infiniment petits ne descendra-t-on point, si on traite les trouvères et les scaldes comme des classiques, si on assimile aux poèmes d’Homère les épopées chevaleresques ? Il est vrai que les assertions générales, que les vues d’ensemble ne manquent pas dans le livre de M. du Méril ; mais c’est un autre excès qui fait contraste.

Je me garderai assurément de blâmer l’alliance de la pensée et de la science. Ce sont deux sœurs trop souvent séparées et heureuses de se donner la main. Bien qu’on puisse m’opposer le plus grand nombre des cas dans la pratique, l’érudition n’exclut pas l’art. L’art consacre tout ce qu’il touche, et il n’y a de monumens vraiment durables, même dans la science, que ceux qu’il a revêtus de ses formes immortelles. Je ne veux pas dire que la beauté plastique doive être le principal soin d’un archéologue ; mais quand j’entends certains érudits de profession médire de ceux qui écrivent, et ranger parmi les littérateurs légers quiconque cherche à couvrir l’idée de formes élégantes, quiconque se préoccupe même de savoir correctement sa langue, le souvenir de la vieille fable de La Fontaine me revient involontairement à l’esprit : Ils sont trop verts. M. du Méril n’a pas pensé de la sorte, et il faut l’en féliciter. Mais pourquoi compromettre par un lyrisme déplacé, par un ton déclamatoire, ces velléités de style, trop rares en pareilles matières ? Avec l’appareil scientifique auquel se complaît l’auteur, avec le cortége de notes dont il s’entoure ou plutôt dont il s’enveloppe, ses écarts n’en ressortiront que mieux.

M. du Méril paraît s’être laissé quelque peu prendre à la phraséologie