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LITTÉRATURE DU NORD.

s’y laisserait presque prendre, si on n’était en garde contre la pente habituelle de ses idées.

Les grands problèmes, les problèmes compliqués, n’effraient pas M. du Méril ; il les aborde de front, sans détour, avec un rare courage d’esprit : ses dissertations, sur les données les plus diverses, se succèdent sans trop d’ordre, d’après une classification à peu près arbitraire, et dont le sens m’échappe complètement. Cette extrême variété d’études poussées en tout sens, cette curiosité inquisitive et volontiers distraite par les épisodes, cette manière incohérente enfin, que l’auteur a introduites dans un sujet fort restreint et uniforme, déconcertent la critique, la dépistent, et la réduisent forcément aux objections générales et de sens commun. Il lui serait impossible de donner du livre une idée même sommaire, d’aborder l’analyse ou le détail, sans se perdre à son tour dans les imperceptibles nuances. Les questions les plus minutieuses ont leur place chez M. du Méril à côté des thèmes les plus grandioses. La rhythmique et la versification scandinaves sont traitées avec un amour de grammairien ; puis tout à coup les rapports littéraires des populations européennes au moyen-âge sont esquissés d’un ton tout-à-fait philosophique et général. Ces rapides transitions, on le devine, sont désagréables à l’esprit : il est peu habile de faire passer brusquement le lecteur de quelque liste bien sèche des scaldes, de quelque énumération philologique, de quelque catalogue bien savant, à un dithyrambe humanitaire.

Comme la plupart des écrivains qui traitent un sujet spécial, M. du Méril cherche à agrandir son domaine aux dépens des voisins ; il est envahissant et conquérant. C’est tout-à-fait un Charles XII littéraire ; il veut reculer les frontières du Nord. Tout vient de Scandinavie, tout y retourne. Mais, je le demande, si M. du Méril avait occasion d’écrire successivement sur les différentes littératures européennes, ne ferait-il pas comme M. de Beausset, qui, dans son Histoire de Fénelon, prenait parti pour l’archevêque de Cambrai, et dans son Histoire de Bossuet était du parti de l’évêque de Meaux. On pourrait alors appliquer à son cœur de critique ce que le poète dit de l’amour d’une mère :

Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier.

Dans l’ordre des idées, cette méthode affectueuse a ses inconvéniens. M. du Méril tire tout à lui. Voici la légende de Véland-le-Forgeron, il la lui faut ; voilà la tradition d’Oger, elle lui convient, et dès-lors Charlemagne est évincé. En philologie, M. du Méril, bien entendu, traite longuement des origines scandinaves des langues romanes ; et de même sur toutes les questions. On conçoit combien ce procédé est vicieux. Sans doute le sujet est assez pauvre pour qu’il soit légitime de chercher à l’enrichir ; sans doute aussi M. du Méril a raison sur beaucoup de points. Les motifs, les preuves qu’il allègue, bien que compromis quelquefois par une forme enveloppée et confuse, attestent souvent de la science et de l’étendue d’esprit ; mais le manque de mesure vient vite, qui gâte tout et laisse le doute.