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REVUE. — CHRONIQUE.

S’il persiste dans cette ligne, les grands embarras ne seront pas pour lui. S’il avait brutalement franchi le Taurus, il se perdait par sa témérité ; s’il souscrivait au traité de Londres, il périssait d’abaissement et de platitude. Il a concédé tout ce qu’il devait concéder ; il a fait à l’amour de la paix tous les sacrifices que des hommes raisonnables, sensés, pouvaient lui demander ; il a été respectueux envers le sultan, modeste envers les signataires du traité de Londres, plein d’égards et de déférence envers nous. Si ses propositions sont acceptées, la paix du monde est conservée, et il n’y a de honte pour personne. Si elles sont refusées, la lutte commencera ; l’opinion publique éclairée protégera le bon droit, et le succès démontrera si l’entêtement et la violence, si la force brutale, doivent, en l’an de grace 1840, l’emporter sur la raison et l’équité.

Il n’est pas aujourd’hui aussi facile qu’on paraît le croire en certains lieux, de s’abandonner à son caprice et de mettre pour toute raison dans la balance son épée. Aujourd’hui il faut dire au monde et ce que l’on fait et les raisons de tout ce que l’on fait. Qu’on ose donc dire à l’Europe, à son industrie, à son commerce, à sa civilisation, qu’on a compromis la paix générale, fait renaître d’immenses questions, mis en doute toutes choses, jusqu’à l’existence de plus d’un état, parce qu’on ne veut pas que l’illustre vieillard que la victoire a couronné à Nézib, conserve pendant quelques années encore, viagèrement, l’administration des pays conquis, parce qu’on veut le contraindre, lui vainqueur, à évacuer honteusement la Syrie comme un général fanfaron qui cependant livre la place sans tirer un coup de canon ! Il faudrait rougir de honte pour l’Europe, pour sa politique, pour ses hommes d’état, si on devait sérieusement s’attendre à de pareils résultats.

Ces vérités, au surplus, sont connues, senties. Aussi, voulait-on, en désespoir de cause, dans ce premier mouvement d’irritation que donne le tort que l’on a et qu’on ne voudrait pas avoir, rejeter sur la France la résistance sage, raisonnable, courtoise du pacha. S’il n’a pas tout accordé, disait-on, c’est que la France ne l’a pas voulu, c’est qu’elle lui a donné le conseil de ne pas le faire. Si la France l’eût voulu, nous, signataires du traité fait sans la France, nous eussions triomphé à Alexandrie, et la France doit se reprocher de ne pas nous avoir aidés à réussir promptement, péremptoirement, dans une entreprise dont le premier résultat était de substituer l’alliance anglo-russe à l’alliance anglo-française : tant il est vrai qu’il y a un côté parfaitement comique en toute chose, même dans la haute politique !

Au reste, empressons-nous de le dire, ce singulier thème est aujourd’hui abandonné. Il est aujourd’hui reconnu que la France, tout en donnant au pacha des conseils de modération et de prudence, ne lui a rien prescrit ; que, bien loin de le retenir dans la voie des concessions, il a fallu l’y pousser par une saine représentation des choses et des intérêts permanens du monde.

La France ne peut que savoir bon gré au pacha de ses démarches. On doit lui tenir compte de sa déférence, et après des concessions que la sagesse et l’équité ne peuvent qu’approuver, le gouvernement français n’a fait qu’un acte de stricte justice et de saine politique, s’il est vrai qu’il ait déclaré à