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REVUE. — CHRONIQUE.

taire au point de suffire à tous les évènemens. C’était armée, forte, que la France devait se mettre en observation et se tenir prête à passer d’un instant à l’autre de l’observation à l’action.

C’est là ce que le gouvernement a fait, et ce qu’il ne cessera pas de faire.

Les armemens de la France ont jeté, n’en doutons pas, dans la balance politique un poids sur lequel les signataires du traité de Londres ne comptèrent pas d’abord. Évidemment ils nous supposaient, que dirai-je ? plus insoucians, plus économes, plus épris des délices du repos que nous ne le sommes. Leur politique s’est trouvée en présence d’un fait inattendu. L’élément français est ainsi entré, malgré eux, dans la question. Ils doivent maintenant délibérer en présence, non de la France apathique et désarmée, mais de la France calme et armée, modérée, amie de la paix, mais bien décidée à ne rien sacrifier de ses intérêts et de sa dignité.

Les armemens de la France peuvent devenir inutiles. — C’est possible, et nous, qui désirons sincèrement la paix tant qu’elle sera compatible avec l’honneur et la sûreté du pays, nous nous féliciterons de l’inutilité de ces dépenses. Mais pour se préparer à la guerre, faut-il attendre qu’elle ait éclaté ? que la paix soit impossible ? Les états qui attendent ainsi, les bras croisés, le flot des grands évènemens, n’ont pas de longues guerres, il est vrai, car d’ordinaire, ils succombent promptement. Sans doute, l’enthousiasme, dans certaines circonstances, peut opérer des miracles : la France le sait ; mais dans des temps calmes, ordinaires, c’est sur la prudence qu’il faut compter, et non sur des prodiges.

Quand nous parlons d’armemens qui peuvent devenir inutiles, ce n’est point des fortifications de Paris que nous entendons parler. Si quelque chose doit surprendre, c’est qu’on ait pu retarder vingt-cinq ans une mesure que le devoir le plus strict commandait au gouvernement de la France. Pouvait-on hésiter à se donner cette immense sécurité, cette force colossale, cette base d’opérations qui nous place, vis-à-vis de l’Europe, dans une position analogue à celle des Anglais, si fiers et si forts de leur ceinture maritime ? La population parisienne, derrière de bons remparts, vaudra bien pour nous, l’Europe le sait, les vagues de l’Océan et les récifs des côtes de l’Angleterre.

En résumé, le gouvernement en présence des évènemens du jour avait à opter entre deux grandes responsabilités, la responsabilité de la France désarmée, la responsabilité de la France armée. Le gouvernement a opté pour l’armement. Qui aurait osé faire un autre choix ? On sait ce qu’un armement sérieux met dans la balance ; on sait ce qu’il nous donne d’influence et de sécurité : sait-on ce qui serait arrivé, ce qui aurait pu arriver, si le gouvernement s’était endormi dans une insouciance funeste, si par son inaction il avait réalisé les espérances des signataires du traité ?

Sans doute, le gouvernement peut s’y attendre, si les évènemens dissipent toutes les craintes, si la raison se fait jour dans les conseils des alliés, on lui reprochera sévèrement d’avoir trop fait, trop dépensé : on ne lui tiendra pas compte de l’influence que son énergie aura exercée sur l’issue de la crise. Le