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REVUE DES DEUX MONDES.

chiffre des dépenses deviendra une arme pour les combats parlementaires : c’est de bonne guerre. Le gouvernement peut se résigner ; dût-il succomber dans la lutte, qu’il se console : il vaut mieux subir de semblables reproches qu’être accusé d’avoir trahi son pays.

L’Espagne continue sa triste révolution. Elle aboutira, comme tout ce qui se fait dans ce malheureux pays, à l’anarchie et à l’impuissance. C’est une lutte entre deux fractions de la classe moyenne ; le peuple, les masses regardent et laissent faire. Il serait par trop ridicule de comparer ces agitations à notre grande révolution. C’est tout au plus la Fronde, moins le cardinal de Retz, Turenne et Condé. Les municipalités représentent le vieux principe bourgeois, tel qu’il s’était organisé à côté de la féodalité ; c’est ce principe tout local qui est incompatible avec toute grandeur nationale.

Il ne se passera pas deux mois qu’Espartero sera l’homme le plus impopulaire de l’Espagne. Il est déjà péniblement étonné de l’influence des juntes ; et ce serait un grand rêve que d’imaginer qu’il pourra, lui Espartero, faire rentrer toutes ces ambitions bourgeoises dans le giron de la loi commune. Espartero n’est pas plus apte à faire qu’à dompter une révolution. Il ne voudra pas s’associer au désordre, et dès qu’il voudra sérieusement le faire cesser, il sentira ses forces défaillir. Les baïonnettes ont délibéré, elles délibéreront encore, et ne feront nullement la volonté du duc de la Victoire. Qu’il lise notre histoire, qu’il se rappelle les noms de certains généraux, il y trouvera d’utiles enseignemens. Mais ce n’est pas à Napoléon qu’il faut penser : celui là, on l’admire, on ne l’imite pas. La révolution qui vient de se faire en Espagne n’est pas même le commencement de la fin.


REVUE MUSICALE.

Le ballet nouveau de l’Opéra appartient encore à ce genre d’imaginations fantastiques dont on semble ne vouloir plus sortir. Depuis que les trombones de M. Meyerbeer ont remué les mondes souterrains au grand profit de l’Académie royale de Musique, c’est à qui évoquera son diable amoureux ou non, son lutin, sa sylphide ou son kobold. Pas un coin de l’air ou de la terre, pas une grotte, pas un fleuve, qui soit demeuré à l’abri de ces investigations laborieuses. Il semble en vérité que l’enfer n’ait été imaginé que pour la plus grande gloire de l’Opéra, et que les Satans de Dante et de Milton n’aient autre chose à faire qu’à venir parader en casques de pompier devant la rampe. Et cette belle mythologie allemande, qu’est-elle devenue, bon Dieu ! On a pris aux roses leurs elfes, aux mines d’or leurs gnomes, pour les faire danser aux soirs d’une musique quelconque devant un public ennuyé ; et les cygnes blancs de Musœus en sont réduits à barbotter dans le Lac des Fées. Les poètes de l’Académie royale de Musique sont un peu cousins des alchimistes du moyen-âge ; ils savent eux aussi se soumettre par des incantations les forces mysté-