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l’opinion publique lui force la main, et cette opinion publique diffère rarement de l’opinion du peuple, qui ne voit jamais pendre ou assommer (macellare) un assassin sans éprouver un sentiment d’horreur pour les juges et de commisération pour le patient.

Chose singulière ! le gouvernement romain, qui montre une sorte de pitié pour des assassins, et qui traite d’égal à égal avec des bandits, envoyant un premier ministre s’aboucher diplomatiquement avec eux, n’hésite pas une autre fois à faire raser une ville. Cette démolition des villes est cependant fort impolitique ; au lieu d’un seul et grand foyer facile à observer, on en crée nombre de petits, qui tendent à grandir ; on n’étouffe pas la contagion, on la répand.

Autre inconséquence du gouvernement pontifical : il prohibe soigneusement les ouvrages de Voltaire, Montesquieu, et même de M. de Châteaubriant, et il laisse vendre dans les montagnes, par des colporteurs, une foule de petits livres à deux sous, qui racontent tous, soit en vers, soit en prose, l’histoire de bandits fameux. Les jeunes gens dévorent ces livres, dont ils prennent les héros pour modèles. Et quels sont ces héros ? c’est un Giuseppe Mastrilli, qui débute par tuer son rival, se fait brigand, sauve une princesse, est gracié, et meurt dans son lit ; c’est un Pietro Mancino, qui un jour s’empare d’un demi-million en or et va vivre en Dalmatie comme un prince, puis, comme Mastrilli, meurt de maladie et rend son ame à Dieu ayant le prêtre auprès de lui. Rese l’anima a Dio col sacerdote. C’est un Gobertinco, qui tue neuf cent soixante-quatre personnes et six enfans, et qui, en mourant, n’a qu’un regret, c’est de n’en avoir pu tuer mille, comme il en avait fait le vœu. C’est un Oronzo Albegna, qui égorge son père, sa mère, étrangle ses deux frères et coupe la tête à sa petite sœur encore au berceau ; celui-là du moins meurt sur l’échafaud. La vie de ces héros, comme celle des Stefano Spadolini, des Bartolomeo, Angelo del Duca, Veneranda Porta et Stefano Fantini, est écrite en vers et souvent en pur toscan ; nombre d’autres petits livrets distribués au peuple avec profusion racontent prosaïquement, mais avec un égal intérêt, la vie de brigands plus modernes, que souvent même leurs lecteurs ont connus, les Maïno, les Perella, les Rondino, les Francatripa, les Calabrese, les Barbone, les Corampono, les Fra Diavolo, les Mezza Pinta, etc., tous brigands plus ou moins fameux, et qui la plupart ont aussi fini d’une façon édifiante, baisant la croix, et le prêtre à leurs côtés.

Nourris de ces lectures, les jeunes montagnards se trouvent tout naturellement du parti des brigands avant de le devenir eux-mêmes.