Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

veut-on la preuve ? écoutons la comparaison qu’ils établissent entre eux et le rédempteur des hommes : c’est là une de ces traditions populaires communes aux brigands de tous les pays. — Jésus dans ce monde eut beaucoup à endurer, et nous aussi nous avons beaucoup à souffrir : Il était fugitif, nous le sommes ; il marchait accompagné de disciples, nous marchons entourés de bons compagnons ; il allait pieds nus, nous ne sommes guère mieux chaussés ; il n’avait qu’une tunique et qu’une robe, nous n’avons qu’une veste et qu’un manteau ; il eut faim et soif, nous pouvons en dire autant ; il jeûna quarante jours dans le désert, nous jeûnons presque tous les jours ; il fut tenté par le diable, qui le transporta sur une haute montagne, le diable nous tente à chaque heure, et nous porte sur les cimes élevées pour épier les passans ; Jésus fut haï et repoussé du monde, le monde nous hait et nous repousse ; les Juifs le guettaient pour le prendre, les sbires nous guettent aussi ; Judas le vendit, il en est plus d’un parmi nous qui vendra ses frères ; il fut pris, on nous prendra ; il fut conduit devant Anne et Caïphe, on nous conduira devant le barighel[1] et le juge ; on le battit de verges, on nous donnera la bastonnade ; on le pendit entre deux larrons, on nous pendra en pareille compagnie ; il descendit aux enfers, nous y descendrons aussi ; fasse le ciel qu’au lieu d’y demeurer de toute éternité avec les diables, nous puissions, comme lui, aller retrouver le Père et le Saint-Esprit !

Que faire pour déraciner de pareils préjugés et pour changer ce cours d’idées ? On a proposé plusieurs remèdes, les uns ordinaires, les autres héroïques. Au nombre des remèdes ordinaires, il faut ranger en première ligne l’éducation et l’instruction, qui ne corrigent pas les brigands, mais qui empêchent de le devenir. Malheureusement ces remèdes, qui n’engagent que l’avenir, ne sont du goût ni des gouvernans, ni des gouvernés. Les remèdes héroïques sont peu nombreux : la peine de mort avec exécution à huis-clos pour tout meurtre prémédité, la peine de mort avec refus d’aboslution pour tout brigand et assassin de métier, tels sont ceux que l’on a jugés les plus efficaces. Le dernier de ces moyens de répression a été repoussé comme abominable et contraire au dogme, l’absolution ne pouvant être refusée au coupable repentant. Quand à la peine de mort, le gouvernement romain, qui ne se pique cependant pas de philanthropie, ne l’applique que très rarement et comme à contre-cœur ; il faut que

  1. Chef des sbires.