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cis, fit la première et la plus vive opposition à cet arrangement. Il plaida la cause de la légitimité du roi de Saxe avec une chaleur presque ridicule dans une telle bouche, dénia au congrès le droit de déposséder une dynastie et de confisquer un royaume, refusa de reconnaître que la souveraineté pût se perdre ou s’acquérir par le seul fait de la conquête, et alla jusqu’à chercher des argumens dans le parti que pourrait un jour tirer la France de la nouvelle situation où l’on voulait placer les membres du corps germanique[1]. L’Autriche, à laquelle les souvenirs de la guerre de sept ans faisaient redouter de voir la Prusse établie sur les frontières de la Bohême, et qui sentait d’un autre côté qu’avec le voisinage d’une Pologne indépendante, il lui serait difficile de garder long-temps la Galicie, prit aussi fait et cause pour le roi de Saxe. On entraîna l’Angleterre, qui n’avait aucun

  1. Voici un passage de la note de M. de Talleyrand à M. de Metternich, en date du 19 décembre 1814 : « La question de la Saxe, dit-il, est devenue la plus importante et la première de toutes, parce qu’il n’y en a aucune autre où les deux principes de la légitimité et de l’équilibre soient compromis à la fois et à un aussi haut degré qu’ils le sont par la disposition qu’on a prétendu faire de ce royaume. Pour reconnaître cette disposition comme légitime, il faudrait tenir pour vrai que les rois peuvent être jugés, qu’ils peuvent l’être par celui qui veut et peut s’emparer de leurs possessions ; qu’ils peuvent être condamnés sans avoir été entendus, sans avoir pu se défendre ; que dans leur condamnation sont nécessairement enveloppés leurs familles et leurs peuples ; que la confiscation, que les nations éclairées ont bannie de leur code, doit être, au XIXe siècle, consacrée par le droit général de l’Europe, la confiscation d’un royaume étant sans doute moins odieuse que celle d’une simple chaumière ; que les peuples n’ont aucuns droits distincts de ceux de leurs souverains, et peuvent être assimilés au bétail d’une métairie ; que la souveraineté se perd et s’acquiert par le seul fait de la conquête ; en un mot, que tout est légitime à qui est le plus fort. La disposition que l’on a prétendu faire du royaume de Saxe serait l’équilibre de l’Europe : 1o en créant contre la Bohême une force d’agression très grande ; 2o en créant au sein du corps germanique et pour un de ses membres une force d’agression hors de proportion avec les forces de résistance de tous les autres, ce qui mettrait ceux-ci dans un péril toujours imminent, et les forçant de chercher des points d’appui au dehors, rendrait nulle la force de résistance que, dans le système général de l’équilibre européen, le corps entier doit offrir, etc. » Il est évident que ce point d’appui au dehors, pour les membres du corps germanique, ne peut être qu’une alliance plus étroite avec la France. D’ailleurs, la pensée du célèbre diplomate s’exprime clairement à ce sujet dans une autre note en date du 2 novembre, où, après avoir parlé des germes de division que sèmerait en Allemagne l’union forcée de la Saxe et de la Prusse, il ajoute ces mots : « La France resterait-elle tranquille spectatrice de ces discordes civiles ? Il est plutôt à croire qu’elle en profiterait, et peut-être ferait-elle sagement d’en profiter. » Si je blâme la conduite du plénipotentiaire français dans cette circonstance, ce n’est pas que je veuille me porter défenseur des principes en vertu desquels on voulait exproprier le roi de Saxe, et que je n’adhère pleinement à tout ce qui peut