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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

intérêt direct dans la question, mais qui peut-être se rendit aux argumens de M. de Talleyrand sur le danger d’ouvrir une porte trop large à l’influence française sur le continent. Les dissentimens allèrent si loin sur cette question, qu’ils donnèrent lieu de part et d’autre à des démonstrations hostiles, et qu’on fut au moment de prendre les armes. Une triple alliance fut conclue le 6 janvier 1815 entre la France, l’Angleterre et l’Autriche, pendant que d’un autre côté le grand-duc Constantin invitait les Polonais à se réunir pour la défense de leur existence politique, et que le comte de Nesselrode déclarait au congrès, au nom de l’empereur, que huit millions d’hommes s’armaient pour reconquérir leur indépendance. Voilà où en étaient venues, au commencement de 1815, les négociations relatives à la double question saxonne et polonaise. On ne s’entendait guère mieux

    être dit contre cette application du droit du plus fort, qui, suivant les expressions de la note citée plus haut, assimile les peuples au bétail d’une métairie. Mais, avec des convictions si intraitables sur tout ce qui pouvait violer la justice et le droit des nations, il y avait bien peu d’actes du congrès auxquels M. de Talleyrand ne dût refuser son concours. Il fallait s’opposer à ce qu’on enlevât la Norvége au roi de Danemark, à ce qu’on donnât la république de Gênes au roi de Sardaigne, et celle de Venise à l’empereur d’Autriche, à tant d’autres actes qui n’étaient possibles que parce qu’on reconnaissait très positivement que les peuples n’ont aucuns droits distincts de ceux de leurs souverains, et que la souveraineté se perd et s’acquiert par le seul fait de la conquête. Il ne fallait pas réserver son opposition pour le seul cas peut-être où les projets des puissances fussent en harmonie avec le véritable équilibre de l’Europe et avec les intérêts de la France. D’ailleurs, il y avait dans la réunion proposée des convenances qui lui ôtaient une partie de ce qu’elle présentait d’odieux. Les Saxons, unis à la Prusse, auraient été soumis à un prince de même race, de même langue, de même religion ; il n’y avait pas d’incompatibilité naturelle et invincible entre eux et les Prussiens, et ce n’était pas là un de ces amalgames impossibles comme quelques-uns de ceux qui furent tentés alors. Le roi de Saxe, prince catholique, aurait reçu en Westphalie ou sur le Rhin des sujets allemands et catholiques, ce qui aurait prévenu les collisions fâcheuses entre l’église et l’état qui devaient s’élever quelques années plus tard. Enfin, il est de fait que, pour vider le différend, on a fini par enlever au roi de Saxe, sans compensation, la moitié de son royaume, et M. de Talleyrand y consentait d’avance, comme le prouve un passage de sa note. Mais apparemment cette moitié n’appartenait pas moins légitimement au roi que celle qu’on lui laissait, et la confiscation d’une portion si notable n’était pas plus justifiable en droit que celle du tout. Nous le répétons donc, le plénipotentiaire français, s’il y avait eu chez lui quelque peu de patriotisme et de bonne foi, devait ou protester absolument, et dans tous les cas, contre le système de droit public adopté par le congrès, ou, laissant de côté des principes que personne n’était disposé à prendre au sérieux, ne considérer les diverses questions qui se présentaient que dans leurs rapports avec les intérêts de la France.