Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
POLITIQUE EXTÉRIEURE.

ou coupable ? Pense-t-on qu’elle oublie long-temps les causes sans nombre de rivalité qui font de la Grande-Bretagne une ennemie mille fois plus irréconciliable de la Russie que ne l’est la France ?

Sachez fixer irrévocablement votre position à l’égard de la Russie, et voyez si par ce seul fait vous ne ramenez pas l’Angleterre dans votre alliance. Un seul mot prononcé dans ce sens fera plus que les plus grands armemens. Ce mot vous donnera les sympathies et les vœux de la nation anglaise tout entière et de toutes les nations qui craignent ou luttent pour leur indépendance ; il vous assurera l’appui du peuple français et jusqu’à cet enthousiasme que vous avez cherché à lui inspirer, et qui vous est si nécessaire en présence d’évènemens si graves. Seul, il peut faire impression sur les cabinets allemands, et, s’il est possible, les détacher des liens de la Russie. Ces cabinets redoutent moins les forces matérielles de la Russie qu’ils ne sont fascinés par son habileté, son audace, sa perversité. Si donc il y a pour la France une chance de les arracher à cette fascination, c’est quand elle se montrera elle-même libre de toute crainte comme de toute convoitise, et fera cesser ainsi les soupçons de l’Allemagne, qui voit la France toujours prête à s’entendre avec la Russie pour la partager, ou à lancer contre elle la propagande.

La Russie ne peut nuire directement à la France, ni lui causer de dommage matériel important. Pour atteindre la France, il faut à la Russie, comme instrumens, les puissances allemandes. Que la France prenne une attitude de fermeté et de justice, et la Russie sera impuissante à les pousser contre elle. Un désir prononcé de neutralité en Allemagne achèvera de produire, si elle ne l’avait précédée, la réaction favorable qu’il s’agit de faire naître en Angleterre.

Une déclaration, adressée au ministère anglais et insérée immédiatement au Moniteur, tendrait, d’une part, à dévoiler la politique coupable et tortueuse de la Russie, de l’autre à faire voir à la nation anglaise l’abîme où on la conduit. En s’abstenant de tout ce qui pourrait offenser la juste susceptibilité britannique, l’on maintiendrait néanmoins la France, devenue plus grande par son isolement, dans la position unique et réellement sublime qui lui est offerte pendant la grande crise à laquelle nous touchons.

Pour expliquer le silence qu’elle a gardé jusqu’à présent, la France pourrait dire (elle ne doit pas craindre de le proclamer, quoique son espérance ait été déçue) qu’elle s’était flattée que, parmi les puissances signataires du traité, quelqu’une, sur les représentations de la France, refuserait sa ratification. Cette espérance, dont la réalisation aurait