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prévu de guerre, enfin les armemens de la France, prouvent assez que le but aussi bien que la conséquence du traité, c’est la guerre. La guerre européenne, la guerre contre la France isolée, et tout au moins le renouvellement des vieilles animosités de la France et de l’Angleterre, voilà ce que veut la Russie, auteur de ce traité. Aussi les procédés les plus acerbes et les plus offensans pour le pacha et pour la France sont-ils employés. Si l’armée d’Ibrahim est retenue en Syrie et mise hors d’état de marcher sur Constantinople, les révoltes intérieures, causées par le schisme religieux, l’impuissance même des flottes alliées, fourniront les prétextes nécessaires à l’accomplissement des vues de celle des puissances dont l’antique et traditionnelle tendance est d’occuper, c’est-à-dire d’acquérir Constantinople[1].

L’art. 4 du traité ôte au sultan le libre commandement des détroits, et cela en affirmant, contrairement à la vérité, « qu’en vertu de l’ancienne règle de l’empire, l’entrée des Dardanelles et du Bosphore a été de tout temps défendue aux bâtimens de guerre des puissances étrangères. » En réalité, cette défense, aussi bien que la permission de franchir les détroits, avait toujours dépendu, sans aucune restriction, du libre arbitre du sultan. Enlever ce droit au sultan, c’est porter directement atteinte à l’indépendance de ce souverain, c’est violer le droit des nations, qui ne permet pas qu’aucun traité substitue l’autorité d’une ou de plusieurs puissances à une autre, seule légitime et seule reconnue, dût cette dernière même souscrire à un pareil traité, c’est-à-dire à son propre anéantissement. Cet article seul suffit pour faire du traité du 15 juillet un traité offensif contre la France. Dans la pensée des musulmans, il porte l’atteinte la plus grave à la prérogative de leur souverain, et le dégrade à leurs yeux.

Telles sont les stipulations du traité et les conséquences qui frappent au premier coup d’œil, comme inévitables. La France les a senties ; elle eût mieux fait de protester à l’instant et de proclamer qu’elle serait forcée à la guerre, non-seulement par telle ou telle mesure d’exécution, stipulée par le traité, mais bien par le traité même, s’il n’était abandonné. Un temps précieux s’est écoulé ; mais le gouvernement français a cru sans doute ne devoir recourir aux moyens extrêmes qu’après avoir prouvé jusqu’à l’évidence qu’il avait épuisé vainement tous les termes de conciliation.

  1. La Russie fait en ce moment avec ostentation lever les environs de Constantinople par un aide-de-camp de l’empereur, M. de Lieven, comme pour constater son droit d’occuper ce pays, et familiariser avec cette idée les habitans de l’Europe.