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Il est donc évident que le bombardement des côtes de la Syrie, que ce violent début dans la carrière des hostilités exigeait du gouvernement français quelque chose de plus que les mesures qu’il avait prises jusqu’à ce jour. Il fallait, dans l’ordre des prévisions, s’élever au niveau des évènemens. Un fait éclatant, un fait qui peut avoir pour conséquence un trouble profond et prochain dans l’équilibre européen dépassait la portée de ce que le gouvernement pouvait faire sans le concours des chambres. Les grands pouvoirs de l’état devaient tous se prononcer dans ce moment solennel, prendre chacun la part de responsabilité morale qui doit lui appartenir ; la paix ou la guerre, l’action ou l’inaction ; l’inaction armée, menaçante, ou l’inaction passive et résignée ; quel que soit le parti auquel la France s’arrête, ce parti doit avoir l’assentiment de tous les représentans légaux du pays, de la couronne et des chambres. Les chambres ont été convoquées. En tirant le canon de Beyrouth, les signataires du traité de Londres appelaient les chambres françaises à délibérer.

Ce n’est pas tout. En continuant les armemens avec une activité qui paraît infatigable, et en convoquant les chambres, le gouvernement n’avait pas encore satisfait à toutes les exigences de la situation. Lord Palmerston ayant présenté sous un faux jour la conduite du gouvernement français dans les affaires d’Orient, il importait de rétablir les faits dans toute leur vérité, et de montrer au monde que la politique de la France avait été aussi franche que raisonnable. C’est là le but du memorandum que M. Thiers vient de publier.

Ce document important, aussi remarquable par la netteté de l’exposition et la solidité des argumens que par la modération et la fermeté du langage, servira de base aux débats parlementaires. On sait maintenant à quoi s’en tenir sur les insinuations par trop habiles du noble lord. Le gouvernement français n’a jamais songé à se séparer de l’Angleterre dans la question d’Orient, ni à solliciter un arrangement direct entre la Porte et le pacha ; il n’a jamais changé d’avis ni de langage sur le maintien de l’intégrité de l’empire ottoman ; tous ses ministères, il y a plus, tous les cabinets étrangers ont toujours attaché le même sens à cette expression, l’intégrité de l’empire ottoman : tous ont voulu dire par là que la Turquie ne devait être démembrée au profit d’aucune puissance européenne, qu’il fallait garantir dans certaines limites les possessions de la Porte et celles de son puissant vassal, le vice-roi d’Égypte. Qui pourrait affirmer le contraire ? Les signataires du traité n’ont-ils pas offert au pacha l’hérédité de l’Égypte et du pachalik de Saint-Jean-d’Acre ? Ils ont donc reconnu que l’intégrité de l’empire ottoman était compatible avec l’existence politique de Méhémet-Ali et de sa famille. L’intégrité de l’empire dépend-elle de l’administration immédiate d’Alep et de Damas, plutôt que de celle de Saint-Jean-d’Acre et d’Alexandrie ?

Il est également vrai que le gouvernement français n’a apporté dans les négociations ni obstination ni raideur. Loin de là. On pourrait plutôt lui reprocher un peu de mollesse, une condescendance excessive, un amour de la paix, un désir d’union quelque peu exagéré. Quelles qu’aient été les avances du pacha pour mériter la bienveillance de la France, quelque favorable que