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d’Édimbourg, qui, quatre jours auparavant, avait obtenu le plus grand succès. Mêmes transports, mêmes acclamations. Pendant le chant du berceau, une pluie de fleurs et d’or tomba sur la scène ; force lui fut de recommencer et de reparaître cinq fois dans l’entr’acte. Enfin vint (pour la première fois cette année) le second acte de la Somnambule ; Francilla joua et chanta la dernière scène d’une manière inouie ; on ne peut se faire une idée de l’enthousiasme qui s’empara de la salle entière ; on n’entendait retentir que ces cris : Viva, brava, divina ! Mais à ces paroles : Ah ! m’abbraccia ! on n’applaudissait plus ; tous, dans les loges et dans le parterre, agitaient leurs mouchoirs, accompagnant leurs gestes de clameurs forcenées. C’était une scène comme les plus anciens habitués du théâtre ne se souviennent pas d’en avoir vu. Rappelée huit fois après la chute du rideau, comme on continuait toujours à crier bis ! dans la salle, Francilla alla chercher jusque dans sa loge son ténor, qui s’était déjà déshabillé, et s’avançant devant la rampe, fit un signe à l’orchestre, qui s’époumonait à crier : Viva ! et la cabaletta recommença avec des variations si neuves et si belles, que la frénésie fut portée à son comble. Enfin on la laissa se déshabiller en repos. Alors plus de six cents personnes se rassemblèrent pour la voir monter dans la voiture de la princesse Niscemi, qui l’attendait à la porte, et le cortége se rendit d’un pas solennel, à travers les plus belles rues de la ville, à son hôtel, où toute une multitude l’attendait avec des flambeaux pour l’escorter jusqu’à son antichambre, dans laquelle on avait dressé un orchestre, qui joua les morceaux favoris de Francilla. Pendant toute la nuit, elle dut se montrer à son balcon pour recevoir les applaudissemens et les acclamations de la ville entière, et ce ne fut qu’à l’aurore qu’on laissa la triomphatrice en paix. » Vraiment, de pareilles extravagances ne seraient que ridicules sans les conséquences fâcheuses qui en résultent la plupart du temps pour les administrations de théâtres. Lorsqu’ils décernent ainsi des honneurs de reine à des cantatrices du second ordre, les Palermitains, les Padouans ou les Bolonais ne s’imaginent pas quel mauvais tour leur furie enthousiaste joue aux directeurs étrangers. En lisant ces récits fabuleux, on se prend de belle admiration pour les héroïnes, on veut les avoir à tout prix (quelles propositions seront jamais assez dignes d’une prima donna que des villes entières mènent en triomphe !), on sème l’or à leurs pieds, et le jour des débuts on s’aperçoit, mais trop tard, qu’on s’est ruiné pour une illusion. Une pareille aventure aura sans doute eu lieu au sujet des engagemens dont nous parlions tout à l’heure. L’Opéra-Comique se sera monté la tête au récit de prouesses imaginaires et de merveilles fantastiques ; sur la foi des ovations et des gazettes italiennes, il aura pris Mme Garcia pour une Malibran, M. Botelli pour un Tamburini. De là tant de regrets et de mécomptes. Pourquoi Mlle Olivier ne nous reviendrait-elle pas, elle aussi ? Mlle Olivier, qui jadis tenait avec grand’peine un emploi de la plus mince importance, parcourt l’Italie à l’heure qu’il est, et triomphe : tout le monde triomphe aujourd’hui. Ses succès nous la ramèneront, mais à quel prix ! Les roulades de Mlle  Oli-