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amis trop indulgens, dit l’auteur, ont fait un livre de ces vers. Les amis sont d’une grande ressource en pareille occurrence. Mais qu’importe au public si le livre a de l’agrément ? Ce que craignent le plus les poètes, c’est de voir leurs œuvres impitoyablement classées, dès leur première apparition, dans une de ces cases qu’on pourrait distinguer entre elles, en leur donnant pour étiquettes quelques grands noms « genre Victor Hugo, genre Lamartine, etc. »

Mon verre est fort petit, mais je bois dans mon verre,

a dit dans un charmant morceau M. de Musset. Ce vif besoin d’originalité a été ressenti par M. Coran, dont le talent, pour procéder assez directement de celui de M. Brizeux, s’échappe, s’égaie sur bien des points, et a gardé de franches allures. Aussi trouve-t-on trace dans ce recueil de nombreux et souvent heureux efforts pour arriver ou tout au moins revenir à des régions poétiques abandonnées ou inconnues. L’auteur, qui, pour me servir d’une des plus heureuses expressions de son livre, n’a vu Dieu qu’à travers Raphaël, a substitué à cette religiosité, dont nous sommes bien las, des sentimens plus mondains, mais plus aimables et plus vrais. Le nom de Jéhovah, et cela est presque devenu vraiment, si on l’ose dire, une chose de bon goût, n’est pas une seule fois prononcé, tandis que Bacchus, Apollon et même les neuf sœurs, font cà et là de gracieuses apparitions.

Et ce n’est pas seulement sur les idées antiques rajeunies que M. Coran a exercé le jeu de son talent ; toutes les séductions modernes ont chez lui leur part. Ce qu’il adore, c’est, par-dessus toute chose, la fantaisie, à laquelle il dédie ses vers en terminant son recueil. Mon Dieu ! la fantaisie elle-même, malgré ce qu’elle semble nous promettre de toujours changeant, a produit, elle aussi, un genre où il y a des disciples et des maîtres. Pauvre fantaisie ! pour ceux qui viennent tard, elle a aussi des cases. Ce qu’on peut dire, c’est que M. Coran a tout-à-fait l’air d’y échapper. Une Épître à la Lectrice pleine d’une charmante indiscrétion et d’une délicieuse impertinence, quelques sonnets tournés d’une façon tendre et galante, enfin une élégie intitulée Souvenir, la plus jolie pièce peut-être de ce recueil, où une scène d’amour est placée dans un cadre de fleurs et de verdure, nous font dire en toute conscience : Non, les amis de M. Coran ne sont pas coupables.


Les deux Mina, par le général Saint-Yon[1]. — La guerre d’Espagne, cette autre guerre de la succession faite par Napoléon au petit-fils de Philippe V, n’est pas encore bien connue. L’histoire, il est vrai, en a dépeint les grands épisodes avec le burin du général Foy, avec la plume espagnole de M. de Toreno ; mais, en élevant ces combats au rang des batailles de la grande armée, on ne saurait avoir qu’une idée incomplète de la longue suite de dévastations et de carnage, d’incendies, de meurtres, qui rappellent plutôt

  1. Chez Berquet et Pétion, rue Mazarine, 28.