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REVUE. — CHRONIQUE.

les rencontres des cannibales que les luttes de peuples civilisés. Ainsi défendue, la liberté a dû se voiler avec horreur ; elle n’acceptera jamais pour pontifes les bourreaux qui ont souillé son culte. Jusqu’ici nous n’avions guère vu que l’héroïsme patriotique des Espagnols ; nous savions qu’ils avaient été conduits par des chefs intrépides, auxquels notre admiration prêtait les qualités et les vertus qui font les grands hommes.

Pendant la restauration, l’inquiétude qui agitait les esprits sur le sort des libertés publiques influait sur la manière dont nous jugions les hommes qui passaient pour les avoir conservées à leur pays. Là où s’était livré un combat contre le pouvoir absolu, les sympathies entouraient ceux qui avaient osé élever la bannière libérale. Les chefs de l’insurrection espagnole, qu’ils eussent marchandé la victoire à Baylen ou massacré nos soldats isolés dans les sierras de la Biscaye, avaient défendu leur indépendance contre l’invasion française : le but ennoblissait les moyens. Mais aujourd’hui les temps sont venus où il est permis d’être impartial, de pénétrer dans les secrets de cette guerre fameuse, de connaître un à un et de suivre jour par jour, étape par étape, massacre par massacre, ces chefs que l’empire appelait des brigands, et que, par une réaction trop vive, nous avons invoqués comme des héros. Parmi ces chefs, quelques-uns sans doute se sont battus contre nous avec un noble courage, défendant leur pays sans déshonorer leur nom ; d’autres se sont élevés jusqu’au commandement par la férocité de leur caractère. En eux la guerre civile semble avoir personnifié tout ce qu’elle a de barbare. Le général Saint-Yon, qui a connu ces hommes et qui assistait à ces combats, écrit pour nous les faire connaître.

Le plus fameux nom de cette guerre est celui de Mina. Mina, pendant cinq ans, a fatigué nos soldats à le poursuivre. On pouvait, dans ces mystérieuses aventures, donner à Mina le rôle que l’imagination lui attribuait, ou la place que lui assigne la nature de ses victoires ; l’incertitude était permise ; elle le sera moins désormais. Le général Saint-Yon a réduit à leur valeur les exagérations de l’orgueil castillan et les sympathies si souvent aveugles de l’esprit de parti.

Mina n’a pas occupé long-temps la scène politique en Espagne. Simple étudiant en 1809, il s’associe pour premiers compagnons d’armes le berger Juanito, un abigeo ou voleur de troupeaux, un contrebandier, un galérien, et il lève l’étendard de la guerre civile sans être encore suivi de son oncle Espoz, qu’il appelle une brute, et qu’il a laissé à Pampelune palefrenier du général français Rostolan. Xavier Mina se signale dans quelques embuscades par sa froide cruauté ; il est bientôt fait prisonnier, et, tremblant à l’idée des représailles qu’il mérite, il s’adresse à ses soldats, et l’autographe de sa lettre suffit à peine pour faire croire qu’elle ait été écrite. Il les conjure de ne pas le laisser mettre à mort ; il leur demande de se rendre au bon général Dufour, qui leur donnera des sauf-conduits. Mina veut sauver sa vie aux dépens de cette liberté de sa patrie à laquelle il sacrifiait celle de ses prisonniers, de ses amis qui lui