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Les poètes dramatiques, venus plus tard, ont puisé dans les romances le sujet d’innombrables compositions qui ont ravivé et rajeuni ces souvenirs. C’est ainsi encore qu’Eschyle, Sophocle, Euripide, empruntaient à l’Iliade et à l’Odyssée la pensée de leurs admirables tragédies.

Les drames qui nous retracent ces temps primitifs de l’Espagne ne sont certes pas des chefs-d’œuvre. Généralement ils restent fort au-dessous des romances dont on les a tirés, et qui, par la simplicité de leur forme, étaient bien plus propres à faire valoir ces traditions populaires, à mettre en relief l’originalité naïve qui en fait tout le charme, à en dissimuler l’absurdité, rendue trop évidente et trop choquante par les longs développemens d’une œuvre dramatique. Il est pourtant quelques-unes de ces comédies auxquelles on ne saurait contester un grand intérêt romanesque. Il en est d’autres qui rendent assez heureusement le caractère agreste et primitif dont l’imagination se plaît à entourer le berceau de la monarchie espagnole, alors qu’elle n’était pas encore sortie ou qu’elle commençait seulement à sortir des montagnes qui servirent d’asile à Pélage et à ses compagnons. Lope de Véga, si habile à varier ses tons et à se transformer suivant les idées qu’il voulait exprimer, a particulièrement réussi dans ce tableau d’un état social si différent de celui au milieu duquel il vivait. On peut surtout citer comme un modèle dans ce genre ses deux comédies des Exploits des Meneses. Sans doute, la couleur locale répandue sur ces pièces n’est pas à l’abri de tout reproche, on peut signaler plus d’une disparate au milieu de traits qui respirent un vrai parfum d’antiquité ; mais le ton d’héroïque rusticité, les tableaux de la vie sauvage et montagnarde que Lope y a jetés avec beaucoup d’art et de charme, sont plus que suffisans pour faire illusion, et l’illusion est tout ce qu’on demande à la poésie, qui bien souvent s’accommoderait fort mal de la vérité absolue.

Ce premier âge de l’histoire d’Espagne finit vers le milieu du XIe siècle. C’est alors que la réunion du comté de Castille et du royaume de Léon en un seul état, suivie bientôt après de la conquête de Tolède, l’antique métropole des Goths, constitua enfin au sein de la Péninsule une monarchie chrétienne, stable, puissante, qui, déjà maîtresse de la plus grande partie de l’Espagne, déjà supérieure en forces aux débris de la puissance arabe, ne devait plus s’arrêter dans ses progrès jusqu’à ce qu’elle eût achevé de les absorber. Dès ce moment, la Castille est un état considérable et régulier qui prend rang parmi les grands états de l’Europe ; dès ce moment aussi, son histoire est plus connue, la part du roman et de la fable s’y amoindrit pour s’effacer bientôt complètement.

C’est à cette époque intermédiaire qu’apparaît la grande figure du Cid.

Ruy Diaz, autrement dit Rodrigue, fils de Diègue, Ruy Diaz de Bivar est le plus populaire des héros espagnols, c’est celui aussi que les poètes ont le plus célébré. Cinquante ans après sa mort, il était déjà le sujet d’un poème épique, premier et informe essai de poésie espagnole. Les siècles suivans voient éclore une multitude presque incroyable de romances consacrées à sa mémoire. À des faits vrais, plus ou moins altérés, se mêlent dans ces petits