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THÉÂTRE ESPAGNOL.

poèmes beaucoup de faits évidemment controuvés. Telle est souvent la monstrueuse absurdité de ces interpolations faites dans des temps d’ignorance, qu’elle mettrait à bout la crédulité la plus aveugle, et que dans ces derniers temps un critique paradoxal, ne sachant comment distinguer la réalité au milieu de toutes ces fictions, a cru pouvoir révoquer en doute l’existence même du Cid, doute qui ne peut se soutenir d’ailleurs contre un examen attentif des documens historiques, quelque incomplets qu’ils soient sur ce point.

Les romances dont il est le héros sont peut-être, dans leur ensemble, les plus intéressantes et les plus poétiques que l’on possède. Le recueil dans lequel on les a réunies a une réputation européenne. Partout il a été lu et traduit ; partout, bien qu’il fût presque impossible hors d’Espagne d’en apprécier complètement les charmans détails, on a été frappé du caractère d’inspiration naïve et énergique qui en fait un monument si original.

De même que les romances du Cid sont sans comparaison celles qui ont eu le plus de retentissement hors de la Péninsule, le drame qu’en a tiré Guilen de Castro, l’un des contemporains de Lope de Vega, est incontestablement, de tout le théâtre espagnol, celui qui en France, et par suite en Europe, a obtenu le plus de célébrité. C’est sans doute à une cause accidentelle qu’il en est redevable. On ne pouvait oublier qu’il a fourni à Corneille la matière de son premier chef-d’œuvre, de la première tragédie qui soit restée sur notre scène ; mais l’ouvrage de Guilen de Castro n’eût-il pas ce titre à la reconnaissance des amis des lettres, les beautés dont il étincelle le recommanderaient encore à toute leur admiration. Elles sont trop connues pour que nous nous arrêtions ici à les rappeler : il nous suffira de dire qu’il n’est peut-être pas dans le Cid français une belle scène dont la pensée, dont le dialogue même, ne soient presque textuellement empruntés au poète espagnol, et que, si quelquefois Corneille a perfectionné les conceptions de son modèle, quelquefois aussi il les a affaiblies en les modifiant pour les mettre en rapport avec la régularité de notre théâtre et la délicatesse de notre goût.

Ce qui est moins connu, c’est qu’au drame imité par notre grand tragique, Guilen de Castro a ajouté une seconde partie, qui, dans notre opinion, ne le cède pas à la première. Elle n’a pas, il est vrai, comme celle-ci, le mérite d’être dominée par un incident principal qui, ramenant l’intérêt vers un but unique, donne à l’ensemble de l’œuvre un caractère vraiment dramatique. C’est en réalité une chronique dialoguée à la manière de Shakspeare, c’est le récit des guerres civiles qui troublèrent la Castille et le royaume de Léon après la mort de Ferdinand-le-Grand, et qui ne finirent que par l’assassinat de son fils Sanche au siége de Zamora ; mais ce récit est plein d’action, de mouvement, de pathétique, le moyen-âge y respire tout entier, et les lambeaux des vieilles chroniques que Guilen de Castro y a insérés avec un art infini, donnent à l’ensemble un air de réalité antique que je ne trouve au même degré peut-être dans aucune autre comédie espagnole.

C’est surtout dans cette seconde partie de la Jeunesse du Cid (tel est le titre de la pièce) que le héros nous apparaît avec ce caractère énergique et ori-