Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
327
THÉÂTRE ESPAGNOL.

poétique, l’expression simple, vive, énergique et naïve tout à la fois, est, comme on le voit, le résumé des deux opinions qui s’étaient formées sur le compte de don Pèdre. Malgré l’impartialité qu’elle affecte, elle penche évidemment en sa faveur, elle tend à rendre au moins suspectes l’équité et l’impartialité de ses accusateurs. Comme nous allons le voir, les poètes dramatiques ont marché plus hardiment dans cette voie de réhabilitation.

Il faut remarquer cependant que les drames où figure ce malheureux prince se rapportent sans exception aux premières années de son règne, à un temps qui précéda celui de ses grandes cruautés, de ses luttes dernières et irréconciliables avec Henri de Trastamare et ses autres frères. Cette circonstance ne doit pas être perdue de vue, parce qu’elle fait disparaître ce qu’il y aurait de trop paradoxal dans la glorification d’un homme dont les dernières années furent souillées par des forfaits malheureusement trop incontestables.

En tête de tous ces drames, on doit placer incontestablement le Vaillant Justicier, de Moreto, le Médecin de son Honneur, de Calderon, et le Certain pour l’incertain, de Lope de Vega. Les deux premiers surtout sont de véritables chefs-d’œuvre dans lesquels le caractère de don Pèdre est dessiné avec une énergie et une profondeur vraiment admirables. Nous ne reproduirons pas ici l’analyse très étendue que nous avons donnée du Vaillant Justicier dans un travail spécialement consacré au théâtre de Moreto. Quant au Médecin de son Honneur, transporté littéralement sur la scène germanique, traduit en français et souvent cité comme une des plus originales productions de Calderon, il n’est étranger à aucun de ceux qui ont donné quelques soins à l’étude de la littérature espagnole. Dans le Certain pour l’incertain, drame rempli d’intérêt, de passion et de cette sensibilité gracieuse et naïve qui distingue Lope, le côté grave et tragique du caractère de don Pèdre occupe assez peu de place. Nous nous arrêterons de préférence à une pièce moins connue, mais peut-être non moins digne de l’être, qui a sur les précédentes l’avantage de se rattacher à une circonstance vraiment historique, ou, ce qui vaut encore mieux, transmise comme telle par la tradition, et qui, par l’aspect particulier sous lequel elle nous fait voir le héros, établit en quelque sorte la transition entre le don Pèdre des poètes et celui des historiens, nous prépare à la transformation de l’héroïque justicier en un tyran sanguinaire, et nous en rend presque témoins. Cette pièce, dont l’auteur est ignoré, c’est le Montagnard Jean Pascal ou le Premier assistant de Séville. Chez les Espagnols, le nom de montagnard désigne les habitans d’une partie reculée de la Vieille-Castille, où les chrétiens s’étaient réfugiés lors de l’invasion des Maures, et où s’était conservée, dans une vie laborieuse et pauvre, la rude simplicité des anciennes mœurs. Le titre d’assistant est celui que portait encore, il y a quelques années, dans la capitale de l’Andalousie, le premier magistrat, appelé corrégidor dans les autres cités.

On trouve dans cette comédie plusieurs scènes qui ne dépareraient certes ni le Vaillant Justicier, ni le Médecin de son Honneur. Telle est celle qui en forme, pour ainsi dire, l’exposition, et qui n’est autre chose qu’une étude dé-