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THÉÂTRE ESPAGNOL.

et qui explique le titre de la pièce, c’est celle où le grand capitaine se trouve, à son inexprimable indignation, appelé à rendre compte, devant une commission composée de ses ennemis, des sommes qu’il a reçues pour la conquête du royaume de Naples. Les commissaires, un peu embarrassés eux-mêmes de leur rôle, veulent s’excuser auprès du héros. Il les presse brusquement d’aller au fait.


Don Fabrice. — Je vous obéis.

Gonzalve. — Prenez garde, je suis peu patient.

Fabrice. — On vous a envoyé cent trente mille ducats en lettres de change tirées de Valladolid.

Gonzalve. — Cela est vrai.

Fabrice. — Le capitaine Aguirre vous a porté huit mille piastres ; je me trompe, c’est quatre-vingt mille.

Gonzalve. — Soit huit mille ou quatre-vingt mille, c’est tout un pour le bon payeur. Continuez.

Fabrice. — La Calabre vous a fourni trois millions onze mille écus en contributions et autres revenus.

Gonzalve. — Vrai Dieu ! cela devient bien long. Ne peut-on savoir la somme totale ?

Fabrice. — Si, seigneur, en voici la récapitulation.

Gonzalve. — Voyons-la donc.

Fabrice. — Vous avez reçu treize millions d’écus.

Gonzalve. — Quoi ! Pas davantage ? Mais c’est une misère. Grace à moi, l’entretien de nos troupes a coûté bien plus cher que cela à l’ennemi. Donnez-moi ce livre… J’ai aussi mes papiers. Écrivez… Mémoire de ce que j’ai dépensé pour des conquêtes qui me coûtent tant de sang, de veilles et de soucis.

Fabrice. — J’y suis, votre excellence peut continuer.

Gonzalve. — Deux millions en espions.

Fabrice. — Autant que cela ?

Gonzalve. — Et c’est peu. Faute d’espions, on perd les occasions les plus favorables. Il faut les bien payer, si l’on veut qu’ils nous reviennent ; car, si ce ne sont pas eux qui donnent la victoire, au moins ils ouvrent la voie qui y conduit.

Fabrice. — J’ai écrit.

Gonzalve. — Cent mille ducats en poudre et en balles.

Fabrice. — Vous avez dû, avec cette somme, en acheter beaucoup.

Gonzalve. — Apprenez que nous nous servions de celles même que nous lançait l’ennemi, autrement tous les trésors du roi n’auraient pas suffi à notre consommation… Mettez encore dix mille ducats pour des gants parfumés.

Fabrice. — Parlez-vous sérieusement ?

Gonzalve. — Écrivez ce que je vous dis. Après une mêlée, où vingt-sept mille hommes étaient restés sur le champ de bataille, et nous vivans et vainqueurs, n’était-il donc pas raisonnable de fournir à nos pauvres soldats ces