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LITTÉRATURE ANGLAISE.

des traducteurs qui savent faire passer dans la langue anglaise les monumens des idiomes orientaux. Si l’on est rarement frappé de cette vive et électrique étincelle dont Byron, Scott et Wordsworth ont possédé le secret, on peut recueillir dans les œuvres les plus modernes de la littérature anglaise beaucoup de documens utiles et de résultats curieux.

Ainsi la volée actuelle, ou, si on l’aime mieux, l’essor commun des intelligences anglaises, ne nous paraît ni très haut ni très vigoureux, mais honnêtement sage, supérieur à la médiocrité, étranger à l’extravagance, assez exempt des graves et misérables défauts de charlatanisme et d’emphase, mais très secondaire, comparativement à Childe-Harold et à Old-Mortality. Carlyle commence à faire école par ses défauts. C’est un mauvais modèle de style, que les élèves tourneront bientôt en caricature. Point de drame important ; aucun nouveau nom poétique. Les révoltes populaires du chartisme et du socialisme n’ont pas trouvé un défenseur éloquent. Les femmes poètes seules se sont récemment distinguées par la surabondance de leurs vers. La tristesse d’une position fausse, sans doute calomniée, faisant vibrer les cordes lyriques du talent le plus viril parmi ces muses, vient d’arracher à mistriss Norton des cris de détresse et d’angoisse, que l’on a justement admirés.

Le poème nouveau de Mme Norton est intitulé le Rêve, et le sujet en est fort simple. Une mère, assise près du chevet de sa jeune fille, la regarde dormir. Tout à coup l’enfant s’éveille ; elle a fait un rêve qu’elle conte à sa mère ; c’est toute la vie d’une femme ; le premier amour, le cœur qui s’épanouit, l’ame qui cherche le bonheur, les noces, la famille, la vieillesse. Sa mère l’interrompt et l’avertit tristement que cette perspective lumineuse s’obscurcira plus tard, que le monde lui réserve des souffrances, car elle est faible, et des déceptions, car elle est aimante. On eût difficilement imaginé un cadre plus naïvement heureux ; c’est le chef-d’œuvre de Mme Norton, qui l’a dédié à son amie, la belle et célèbre duchesse de Sutherland

« Une fois encore, ô ma harpe, une fois encore, éveille-toi ! Ma main n’espérait plus interroger tes cordes palpitantes. Mais il le faut, mon cœur s’élance, ce triste cœur long-temps endormi dans le repos de son angoisse. L’oiseau assoupi sur le rameau de cyprès entrevoit le ciel de poésie ; il part, il s’éloigne de la terre ; il y laisse les chagrins accablans ; il vole bien loin du monde obscur.

« À toi donc, belle et pure ; à toi, condamnée à vivre dans ce monde où toute générosité s’éteint, où toute imagination s’allanguit,