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LE DERNIER ABBÉ.

belles qui me fait mourir d’ennui ; j’ai bien envie de le congédier. Je n’ai pas ri depuis un mois. Vous me manquez avec vos histoires.

— Si vous vouliez m’avoir demain, il y aurait un moyen sûr de me mettre en gaieté.

— Je vous entends. Allons ! venez toujours, et l’on verra s’il nous reste un brin de tendresse pour un ancien ami.

L’abbé sortit tout palpitant de joie et d’espérance. Il se promit, en homme sage, de profiter du caprice de l’ingénue sans penser au réveil du lendemain, et de noyer en même temps son amour dans l’ivresse de ce dernier bonheur.

Pour tout l’or de l’univers, Cordier n’aurait pas voulu tromper Mlle Doligny dans l’instant où elle se montrait pour lui si bonne fille. Il raconta naïvement, sans y rien changer, ses deux aventures avec l’hôtelière et la fille du maître de forges. L’actrice en riait de tout son cœur. L’abbé eut pourtant un peu de confusion lorsqu’il avoua qu’il avait donné la bague de sa première maîtresse ; mais Mlle Doligny s’écria :

— Dieu soit loué ! je tremblais en pensant que vous n’aviez pas un seul bijou à offrir à cette aimable enfant. Non-seulement je vous pardonne, mais je vous prie d’accepter une autre bague pour vous en servir en pareille occasion.

Mlle Doligny était de ces femmes dont l’imagination s’exalte aisément. Le récit de l’abbé lui parut si drôle et si amusant, qu’elle lui laissa tout juste le temps de l’achever, et qu’elle se mit à dire :

— En vérité, mon cher garçon, je crois que je vous aime de toute mon ame.

Elle aurait dû ajouter par réflexion :

— Pour jusqu’à demain.

Mais elle n’en fit rien, parce que les cœurs les plus inconstans ont cela de bon que l’expérience même ne leur apprend pas à connaître leur fragilité. Comme ce retour de tendresse était du bien inespéré, l’abbé y trouva en même temps le prix de ses chagrins passés, et le courage nécessaire pour la rupture du lendemain.

Lorsqu’arriva l’instant de la séparation, Cordier, quoique résigné à son sort, voulut cependant emporter quelque souvenir de ce jour heureux. L’ingénue lui offrit à choisir parmi ses joyaux ; mais l’abbé n’y trouva pas ce qu’il désirait. En regardant autour de lui dans la chambre, il aperçut le chat de Mlle Doligny qui dormait sur la toilette au milieu des pots de rouge et des boîtes à poudre ; c’était une jeune bête fort espiègle, qui avait pour lui une préférence sur les