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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

d’autres furent séparées de leur centre naturel par suite des innombrables vicissitudes du droit féodal, et l’essor des nationalités se trouva de toutes parts comprimé par l’autorité de prescriptions arbitraires. Ainsi, pour ne rappeler qu’un seul exemple, les diverses provinces belgiques, disputées tour à tour comme fiefs de l’empire et de la France, devinrent une pomme d’éternelle discorde au centre même de l’Europe. Le droit des femmes livra les peuples à toutes les incertitudes de l’avenir, à ce point que si l’on voulait désigner l’institution politique la plus funeste au monde depuis mille ans, personne n’hésiterait à indiquer la succession féminine. Par elle s’ouvrit, entre l’Angleterre et la France, une guerre de trois siècles ; le droit des femmes nous jeta sur l’Italie au mépris de nos intérêts les plus évidens, et par lui la vaste monarchie espagnole devint l’accessoire de l’héritage d’un prince flamand, petit-fils de l’héritière de Bourgogne et fis de l’héritière de Castille, et deux fois en moins d’un siècle le sort de l’Europe dépendit du choix d’une jeune fille.

La séparation profonde maintenue par les institutions féodales entres les races humaines, l’antagonisme permanent de l’empire et de la papauté, expression de deux forces en lutte constante, opposaient un invincible obstacle à la réalisation de la pensée politique embrassée par Hildebrand, Conti et tant d’autres illustres pontifes avec l’enthousiaste persévérance qu’inspirent les grandes choses. Les papes avaient pu sauver l’Europe de l’invasion musulmane, inspirer et régler le mouvement qui, en la jetant tout entière sur l’Asie, fit sonner l’heure de son affranchissement politique ; ils avaient pu, par de prodigieux efforts, sauver l’inviolabilité du mariage et la sainteté de la famille, maintenir les lois de l’église et préserver la discipline, compromises par un dangereux contact avec la puissance seigneuriale ; ils purent intervenir entre les princes et les peuples, quelquefois prévenir la guerre, et toujours en atténuer les rigueurs : mais il ne leur fut pas donné d’asseoir les relations d’état à état, et d’imprimer à celles-ci une fixité que ne comportaient ni le droit, féodal, ni les mœurs d’une époque toute guerrière.

Déjà, d’ailleurs, le grand édifice de la catholicité menaçait de s’écrouler par sa base. Le XVe siècle, cet âge qu’il faudrait tant étudier pour bien comprendre le nôtre, avait soufflé sur le monde un vent de révolutions et de ruines, et ouvert de toutes parts des perspectives nouvelles. L’aiguille aimantée, l’Amérique, l’imprimerie, le papier à écrire, la poudre à canon, les merveilles de la science et les secrets de la nature étaient venus changer toutes les conditions de