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séculaire, devient tout à coup sa plus intime alliée ; elle proclame l’identité de ses intérêts politiques avec ceux du cabinet impérial, et dans l’enivrement de cette amitié nouvelle, qui va devenir, selon le style des chancelleries, le gage le plus solide du maintien de l’équilibre et de la paix du monde, la cour de Versailles signe avec celle de Vienne les stipulations de l’alliance la plus léonine qu’ait jamais consentie un cabinet.

On sait que cette alliance attira bientôt la France dans une querelle qui lui était étrangère. Battu par la Prusse, écrasé par l’Angleterre, humilié dans sa gloire, compromis dans ses intérêts coloniaux, le cabinet français dut signer enfin cette paix de 1763, qui, sous le rapport continental, remit les choses à peu près sur le pied où elles se trouvaient avant ces grands évènemens. Il n’y manquait que tant de millions engloutis et ces milliers d’hommes tués pour établir la balance politique, hier sur l’alliance de la Prusse, demain sur celle de l’Autriche et l’union du dauphin avec la fille de Marie-Thérèse.

Qu’on me permette de reproduire ici une réflexion que ce sujet m’inspirait il y a quelques années, et de redemander « qui donc avait raison, du duc de Choiseul ou du cardinal de Fleury ? Quand agissait-on d’après les vrais principes de l’équilibre ? Était-ce en 1748, quand on s’appuyait sur Berlin, ou en 1756, lorsqu’on s’appuyait sur Vienne ? En vérité, n’y a-t-il pas de quoi trembler pour la politique, et cette science n’est-elle pas encore plus conjecturale que la médecine ? La France, ainsi livrée à deux systèmes opposés, ne rappelle-t-elle pas le malade traité pour le même mal par les toniques et les débilitans ? »

Dieu me garde assurément de reprocher au système de pondération de n’avoir pas empêché la guerre dans le monde ; cela serait aussi peu fondé que d’imputer à crime à la thérapeutique l’existence même des maladies. Mais je cherche vainement, je le confesse, quels embarras il a prévenus, quelles vues ambitieuses il a pu contenir, à quelle violence et à quelle injustice il a su résister, quelle faiblesse et quel bon droit il lui a été donné de faire triompher en Europe depuis qu’on en essaie l’application. L’erreur fondamentale de ce système consiste à raisonner sur les nations comme sur des choses inertes, sans tenir compte du mouvement qui les modifie incessamment, et des révolutions qu’un homme ou une idée introduit soudain dans les relations de peuple à peuple. Cette dynamique ne se préoccupe ni de la pensée ni de la vie, et applique sérieusement au monde de l’intelligence et des passions le mécanisme des corps inanimés. Elle présuppose