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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

d’ailleurs, comment le méconnaître ? l’inimitié naturelle des peuples ; elle pose la guerre en principe, comme l’état normal du monde, et cherche à la conjurer par un obstacle tout matériel, à la manière de Hobbes, qui prétendait arracher l’espèce humaine à l’anarchie en l’invitant à se réfugier dans le despotisme. Lorsqu’on creuse cette doctrine, on voit qu’elle repose sur la négation même du droit, et qu’elle consacre, en lui opposant certains obstacles temporaires, le triomphe définitif de la force.

N’est-ce pas au nom de l’équilibre qu’ont été consommés les trois partages de la Pologne ? Que dit l’Autriche pour légitimer sa participation, d’abord timide, à un attentat que sa souveraine déplorait comme un crime et comme une faute ? Ne s’excusa-t-elle pas sur l’obligation de faire contre-poids à la Prusse et à la Russie, dont les souverains, esprits forts, avaient conçu la première pensée de ce forfait politique ? Que dit plus tard le même cabinet pour défendre aux yeux de l’Europe étonnée l’anéantissement de Venise et la réunion de cet état à l’Autriche ? N’établit-il pas fort disertement que cet agrandissement était devenu pour lui une nécessité depuis que la France avait conquis la rive gauche du Rhin, et que la Prusse, exploitant sa neutralité comme d’autres auraient exploité la victoire, se préparait à profiter des sécularisations ecclésiastiques et du pillage de l’Allemagne ? Odieuse doctrine, qui aurait pour dernier résultat l’absorption de toutes les nationalités par deux puissances prépondérantes, dont l’une trouverait constamment dans les iniquités de l’autre un motif légitime de les imiter.

L’équilibre qui dans le XVIIe siècle n’avait pas arrêté Louis XIV qui au XVIIIe fut bouleversé par Frédéric II, ne pouvait au XIXe arrêter Napoléon. Lorsqu’elle fut sortie de la brûlante période durant laquelle sa politique n’avait été qu’un dithyrambe révolutionnaire, la république française avait repris à Campo-Formio, à Rastadt, à Lunéville, le fil des traditions consacrées par le vieux droit public européen, avec une mesure à laquelle toute justice n’a peut-être pas été rendue. La France avait admis sans difficulté la nécessité de pondérer ses acquisitions en Belgique et sur la rive gauche du Rhin par l’agrandissement de la Prusse et de l’Autriche, agrandissement dont les états de l’Italie, les principautés médiatisées et les évêchés sécularisés de l’Allemagne devaient nécessairement payer les frais. La paix de 1801 réalisa ces principes, et le traité d’Amiens les confirma dans leur application à l’Angleterre.

Mais dès cette époque, il n’y avait déjà plus dans le monde que