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deux forces vives en présence, et l’univers était devenu le champ de bataille de deux puissances trop pleines de sève pour être contenues dans leur essor par les états neutres, trop antipathiques entre elles pour se laisser jamais pondérer l’une par l’autre. Celle-ci aspirait à la domination maritime du globe, et l’avait déjà presque conquise ; celle-là osait concevoir l’asservissement militaire de l’Europe, et elle parut à la veille de le réaliser. Pitt porta dès l’abord dans ce duel une netteté de vues et une inflexibilité de résolution qui ne se développèrent que successivement chez son grand adversaire. Cet impassible ministre savait où il en voulait venir avant que Napoléon se fût rendu un compte complet des glorieuses fatalités de sa destinée, et la suprématie maritime ouvertement confessée fut à la fois l’origine et peut-être l’excuse de la domination territoriale.

À ce point avait donc abouti, après un siècle et demi de déceptions, ce vieux système politique sans racine dans la conscience des peuples ! Le choix entre deux tyrannies également pesantes était devenu la conséquence dernière de ce mécanisme ingénieux, sous lequel s’étaient effacées toutes les notions de la justice et de l’équité, et le monde était suspendu entre deux menaces dont il était écrit qu’il ne pourrait désormais se dégager ! À la domination temporaire d’un grand homme, instrument de la Providence et brisé promptement par elle, allait en effet se substituer celle d’un état immobile et solide comme le pôle où il s’appuie, et la Grande-Bretagne allait bientôt trouver en face d’elle, et luttant aussi pour la domination du monde, un empire qui avait hérité, probablement pour des siècles, du rôle que Napoléon avait joué pour un jour. La rivalité de l’Angleterre et de la Russie aspirant au même but par des voies différentes, tel est le fait désormais trop constaté contre lequel se débat vainement la conscience publique. Du moment où l’Europe, enivrée d’une victoire attendue si long-temps, et prenant le soin de sa vengeance pour une inspiration de bonne politique, s’accordait pour abaisser la France au-delà d’une juste mesure ; du jour où celle-ci, refoulée loin du Rhin et dépouillée de la Savoie, cessait d’agir sur l’Allemagne et d’avoir pied sur l’Italie, il devait être évident pour tous les esprits sérieux que la suprématie continentale passerait désormais sans contre-poids à un grand état où la force militaire n’est pas tempérée, comme elle le fut toujours en France, par d’ardentes sympathies pour l’humanité.

Le congrès de Vienne crut équilibrer le monde en dépouillant les faibles au profit des forts, en obéissant à toutes les haines éveillées