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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

débuta dès l’âge de seize ans, en tuant dans le confessionnal le curé de sa paroisse qui lui refusait l’absolution d’un vol. Obligé de fuir, il rejoignit quelques connaissances qu’il avait dans la montagne, et se fit brigand. Un jour, les carabiniers entourèrent la bande dont il faisait partie. Gasparone ne perdit pas courage. Il tua de deux coups de poignard deux soldats qui le saisissaient ; puis, retranché dans un maquis, il en mit six autres hors de combat. Ses camarades, émerveillés de son courage, et qui venaient de perdre leur chef, l’élurent tout d’une voix leur commandant en sa place. Sa réputation s’étendit dans tout le pays, et bientôt il compta sous ses ordres plus de deux cents soldats. Gasparone avoue cent quarante-trois assassinats ; c’est néanmoins le chef qui s’est fait le plus aimer des montagnards romains. Nous avons vu des pâtres du Monte-Cave verser des larmes de regret en racontant ses prouesses. Gasparone, moins grossier que Barbone, dont il ne parle qu’avec mépris, s’est toujours piqué de galanterie. Un des lieutenans de Barbone avait enlevé un séminaire de jeunes garçons. Gasparone enleva tout un couvent de religieuses. Ces jeunes filles, au nombre de trente-quatre, arrachées en plein jour de leur retraite du Monte-Commodo, furent conduites dans la forêt par les brigands, qui ne renvoyèrent que les plus pauvres. Cachées dans des grottes et au fond des précipices, les autres vécurent dix jours en communauté avec les brigands, qui les relâchèrent, moyennant rançon, sans qu’aucune d’elles eût à se plaindre d’un outrage ou même d’un manque de respect.

Gasparone, le galant bandit, fut cependant trahi par sa maîtresse, qui le vendit aux sbires. Celle-ci, au moment de le livrer, avait prudemment jeté sa carabine et son poignard par la fenêtre. Gasparone, néanmoins, tira vengeance de sa trahison ; il l’étrangla avec ses mains, tandis que les sbires enfonçaient la porte. Gasparone est à la fois un homme d’action et un homme d’esprit ; du XIVe au XVIe siècle, un tel chef eût rivalisé avec les Sforza, les Carmagnola, les Pietro Saccone et tant d’autres fameux condottieri.

La soumission de Barbone, la captivité de Gasparone et les exemples faits par le cardinal Gonsalvi ont, comme nous l’avons dit, amené la dispersion des bandes. Il s’en faut toutefois qu’aujourd’hui l’on voyage en Italie avec la même sécurité que dans le reste de l’Europe, comme le prétendent des voyageurs optimistes. Quoique commis par des individus isolés ou réunis accidentellement, les vols à main armée sont presque aussi fréquens qu’autrefois. Il est peu de voyageurs qui, à la suite d’une ou deux années passées sur les routes de l’Italie, n’aient