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fait leur rencontre. Récemment encore, un artiste de nos amis[1] a vu luire à quelques pouces de sa poitrine le stylet des bandits : il n’avait avec lui que ses crayons et son portefeuille ; peu s’en fallut que les brigands, qui n’apprécient guère ce genre de richesses, ne se vengeassent de leur déconvenue en le frappant de leurs poignards. Tel autre, à son arrivée dans Rome, a été obligé de garder la chambre plusieurs jours, tous ses vêtemens, y compris l’habit qu’il avait sur le dos, lui ayant été enlevés près de Viterbe. Enfin, l’année dernière, nous avons vu M. Dabadie, le courageux voyageur, contraint de se présenter en costume de bal masqué dans les salons du palais de Monte-Citorio, cette habitation des ministres et des cardinaux romains, les brigands ne lui ayant laissé pour tout vêtement qu’un habit arménien. Ce costume de M. Dabadie était une épigramme excellente. Les ministres romains, qui entendent à demi-mot, durent la comprendre ; s’il était cruel pour le voyageur, après plusieurs années passées au milieu des peuplades barbares de l’Abissynie, de se voir dépouillé de la riche moisson de manuscrits orientaux et de documens de toute espèce recueillis au prix de tant de sueurs, il était piquant, en effet, pour messieurs les cardinaux ministres de l’intérieur et de la police, que ce vol audacieux se fût passé aux portes de Rome. Les environs de la cité pontificale étaient-ils donc moins sûrs que les déserts de l’Afrique ? les paysans de la banlieue romaine étaient-ils moins civilisés que les Arabes ou les Abissins ?

Ce serait, je crois, l’avis des bourgeois de Rome, qui redoutent beaucoup plus ces brigands amateurs que les chefs de bandes d’autrefois. Ceux-ci, du moins, avaient des procédés, ne vous tuaient pas par maladresse, et, moyennant quelques écus, il y avait toujours moyen de s’entendre avec eux. Aujourd’hui, chacun s’en mêle, on vous arrête sur les grands chemins pour des misères, pour vous voler douze chemises ou une montre ; puis, ces gens-là sont si maladroits, qu’ils vous estropient ou vous tuent sans le vouloir. Plusieurs voyageurs ont été victimes en effet de ces attaques isolées, exécutées par des hommes armés de fusils et de pistolets dont ils ne savaient pas se servir. M. Hunt et sa femme, ces jeunes et intéressans voyageurs dont la mort fit tant de bruit il y a quelques années, périrent victimes d’un événement de ce genre.

M. Hunt faisait sa visite obligée aux temples de Pœstum ; il avait dans sa voiture quelques pièces d’argenterie dont il eut l’imprudence de se servir en déjeunant sous le portique du temple de Neptune ; sa

  1. M. Cabat