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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

alors il est l’essence suprême de Vichnou, il est Vichnou lui-même.

Certaines légendes racontées dans les Pouranas semblent même faire allusion à d’anciennes luttes qui auraient eu lieu entre les brahmanes et des rois ou des populations vichnouites. Telle est la curieuse histoire de Pralada[1]. Ce jeune fils du roi de l’univers a voué, dès ses premières années, une piété sans bornes à Vichnou. Son père et les brahmanes qui l’entourent sont représentés comme les ennemis de ce dieu. Plusieurs fois Pralada est livré à la mort à cause de son culte, mais toujours il est sauvé par la protection du grand Vichnou. Un jour, les brahmanes ont allumé contre lui une flamme magique ; mais, par la puissance de Vichnou, elle se retourne contre eux et les dévore. Alors Pralada demande au dieu qui les a exterminés de les rendre à la vie. Les brahmanes ressuscitent pour s’incliner devant celui qu’ils ont persécuté. Dans cette légende, les brahmanes sont appelés les prêtres des démons (asuras). On voit qu’elle n’a point été destinée à célébrer les triomphes de la caste aujourd’hui dominante ; elle semble plutôt attester d’antiques défaites que les sectateurs de Brahma auraient éprouvées à une époque inconnue.

Il en est de même d’un passage du Vichnou-Purâna, dans lequel Siva, exclu d’un sacrifice où avaient été admis les autres dieux, crée un être terrible qui renverse le sacrifice, disperse les officians et met en déroute les divinités. Auparavant, Siva s’est écrié : « Que m’importe d’être exclu de ce sacrifice ? Mes prêtres m’honorent dans le sacrifice de la vraie sagesse, où l’on se passe de l’aide des brahmanes[2]. » Ne s’agit-il pas ici des prétentions du culte sivaïte et de quelques triomphes de ce culte sur celui de Brahma ?

Dans un autre passage du Vichnou-Purâna se montre un vague souvenir d’une religion en dehors du brahmanisme, une religion de la nature, qui semble avoir été professée par les habitans des campagnes, et qui était peut-être un reste de l’ancien culte indigène, réfugié dans les lieux écartés, parmi les tribus nomades, un paganisme indien, dans le sens étymologique du mot, paganica numina. Le dieu Krichna, parlant au nom des pasteurs parmi lesquels il habite, dit[3] : « Les esprits de ces montagnes parcourent, dit-on, les bois sous la forme qu’il leur plaît de choisir, ou, sous leur forme naturelle, se jouent au bord de leurs abîmes. S’ils sont mécontens

  1. Vishnu-Purana, pag. 126 et suiv.
  2. id. pag. 65-67.
  3. id. pag. 525.