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de quelque habitant de la forêt, transformés en lion ou en bête de proie, ils le mettent à mort. C’est pourquoi nous devons adorer les montagnes et offrir des sacrifices aux troupeaux. Qu’avons-nous à démêler avec Indra (le dieu du ciel) ? Les troupeaux et les montagnes, voilà nos dieux ; laissons les brahmanes faire l’adoration par la prière. » Enfin on peut voir une trace d’ancienne rivalité entre le culte de Vichnou et le culte de Siva dans la destruction de Bénarès, ville de tout temps, et encore aujourd’hui, sivaïte, que consume le disque enflammé de Vichnou. Ces indications sont peu positives ; mais, quand il s’agit d’un pays où l’histoire manque presque entièrement, on est heureux de trouver quelques documens précieux de la tradition conservés par les Pouranas.

Tout émane de Vichnou dans le poème composé pour glorifier sa puissance, même l’ennemi de la religion orthodoxe, le grand hérésiarque, le grand réformateur Boudda. Boudda n’est autre chose qu’une forme illusoire émanée de Vichnou et envoyée par lui sur la terre pour égarer les ennemis des dieux[1]. D’autres hérétiques venus après Boudda avouent hardiment ici le scandale de leurs doctrines, selon lesquelles les brahmanes ne sont dignes d’aucun respect, et qui proclament qu’il n’y a point de texte divin ou révélé. On voit que le rationalisme a pénétré aussi dans le brahmanisme à la suite de la réforme.

Le principal intérêt qu’offrent les Pouranas, c’est de présenter au milieu du désordre, de l’incohérence, de la bizarrerie, qui les caractérisent, un tableau frappant des idées et de l’imagination hindoues. Plus ils sont composés d’élémens hétérogènes, plus ils sont curieux à cet égard ; car la variété même des matières qu’ils renferment rend plus complet l’enseignement qu’ils peuvent fournir. Je vais tâcher de tirer de ce chaos quelques passages propres à faire connaître le génie religieux, métaphysique, moral et social des Hindous.

Le panthéisme est l’idée dominante des religions et des philosophies de l’Inde, et se retrouve sans cesse dans les Pouranas. Elle y est exprimée sous mille formes, reproduite sous mille aspects, et on peut dire que la poésie hindoue est la manifestation multiple d’une même pensée, comme l’univers, selon la croyance hindoue, est lui-même la manifestation infiniment variée d’un même principe.

On ne saurait se figurer les tours de force de langage, les métaphores, les comparaisons, par lesquels l’imagination du poète métaphysicien s’efforce de rendre sensible ce qu’il y a de plus difficile à

  1. Vishnu-Purana, pag. 337 et suiv.