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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

comprendre dans le dogme du panthéisme. Quelquefois elle appelle à son secours une gracieuse similitude : « Comme l’air qui s’exhale par les trous d’une flûte produit la distinction des notes qui composent la gamme, ainsi la nature du grand esprit, simple dans son essence, devient multiple par les conséquences de son action. » Tantôt c’est par les peintures les plus étranges que l’auteur du Vichnou-Purâna cherche à faire entrer dans les esprits cette idée fondamentale de sa foi, savoir, que Vichnou est tout, que tout est Vichnou. « Comme créateur, dit-il, il se crée lui-même[1] ; comme destructeur, il se détruit lui-même à la fin de chaque période de la vie de l’univers. »

L’idée panthéiste appliquée à la mythologie produit les conceptions les plus bizarres. Ainsi, quand Krichna, qui est une incarnation de Vichnou, a décidé les bergères, au milieu desquelles s’écoule sa folâtre jeunesse, à sacrifier aux montagnes, Krichna se présente sur le sommet de l’une d’elles, en disant : Je suis la montagne, tandis que sous une autre forme il gravissait les montagnes avec les bergères et adorait son autre moi[2].

Ce panthéisme a deux formes, l’une grossière, l’autre plus épurée ; l’une empreinte d’un épais matérialisme, l’autre d’un idéalisme raffiné. Dans le premier point de vue, Vichnou est le monde. Les divers membres de son grand corps sont les diverses portions de l’univers ; ses os sont les montagnes, les fleuves sont ses veines, son souffle est le vent, sa vue est le soleil. Mais la méditation qui le contemple ainsi comme un dieu-monde ne doit être qu’un degré pour s’élever à le considérer, non plus comme la collection des êtres, mais comme le principe qui, uni aux choses et cependant distinct d’elles, existe partout et toujours[3].

Ainsi on passe du point de vue matérialiste au point de vue idéaliste, mais le besoin d’unité, ce besoin inhérent aux spéculations métaphysiques du génie hindou, le ramène au panthéisme par une étrange voie. S’étant élevé à concevoir le principe unique des êtres comme quelque chose de supérieur aux êtres, qui n’en a point les qualités, quelque chose d’absolu, pour me servir du langage occidental, le génie métaphysique de l’Inde tranche la grande difficulté philosophique, celle qui est au fond de tous les systèmes, le rapport

  1. Vishnu-Purana, pag. 20.
  2. id., pag. 525.
  3. Bhâgavata Purâṇa, pag. 275.