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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

renté, la race, sont inconnus, dit le Vichnou-Purâna[1] : Brahma est présent dans la personne d’un hôte. Le père de famille doit répandre sur la terre de la nourriture pour les personnes dégradées de leur caste. Enfin, comme pour donner un exemple de miséricordieuse bonté, appliqué aux dernières des créatures humaines, les Tchandalas, rebut de toutes les castes, sont bénis par Vichnou[2]. Mais le panthéisme donne à la morale hindoue un caractère qui la distingue profondément de la morale chrétienne, et la place bien au-dessous.

D’abord il résulte de la croyance au panthéisme que la charité se perd et se dissout, pour ainsi dire, dans un sentiment plus général : l’amour de tous les êtres, émanations d’une même substance, manifestations d’un même principe. Là où n’est pas marquée fortement la distinction entre l’homme et les choses, entre l’esprit et la matière, entre ce qui est libre et ce qui est soumis à la fatalité, la fraternité des hommes est remplacée par la fraternité des êtres. L’humanité ne compose plus à elle seule tout notre prochain, il faut l’étendre aux animaux, aux plantes à toute la nature. Il en résulte, il est vrai, une gracieuse délicatesse de sentiment. La religion prescrit de répandre sur le sol la nourriture destinée aux oiseaux et aux chiens errans ; il ne faut pas couper sans raison les arbres, car ils vivent comme nous de la vie universelle. Mais il résulte aussi de cette égalité morale faussement établie entre la nature et l’homme, que l’on perd le sentiment des vrais devoirs en les associant à des devoirs imaginaires.

Dans le précepte qui ordonne de répandre sur le sol de la nourriture pour les animaux, les rejetés (out cast) sont placés entre les chiens et les oiseaux, et couper légèrement un arbre est mis sur la même ligne que haïr son père. Ailleurs[3] il est dit : « Aurais-tu abandonné un brahmane, un enfant, une vache, un vieillard, un malade, une femme ? » Ces confusions tiennent à la grande confusion que le panthéisme établit entre tous les êtres membres d’un même tout, accidens d’une même substance. On en vient ainsi, après avoir mis les animaux sur la même ligne que les hommes, à sacrifier les hommes aux animaux, et à livrer durant toute une nuit un malheureux aux insectes pour les repaître de son sang[4].

  1. Pag. 305.
  2. Bhâgavata Purâṇa, pag. 105.
  3. id., pag. 208.
  4. id., pag. 137.