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Enfin l’opinion d’après laquelle cet univers n’est qu’une apparence décevante et la vie humaine, une illusion douloureuse, l’opinion qui voit dans les œuvres un piége qu’il faut fuir, et dans l’indifférence le terme le plus haut de la sagesse, est peu propre à faire des hommes énergiques, à produire les vertus du citoyen et du guerrier. Aussi depuis bien des siècles l’Inde, sous le poids de ces doctrines énervantes comme le climat qui les inspire, a-t-elle baissé la tête sous la tyrannie d’une caste ou sous l’oppression de l’étranger.

La supériorité des brahmanes, la haute opinion qu’on a de leur importance, sont écrites à chaque page des Pouranas. On voit que les brahmanes gouvernent les rois eux-mêmes. Plusieurs légendes en font foi, entre autres celle qu’on va lire[1] :

« Dans le royaume sur lequel régnait Santana, il n’avait pas plu depuis douze années. Craignant que le pays ne devînt un désert, le roi assembla les brahmanes et leur demanda pourquoi la pluie ne tombait pas, et quelle faute il avait commise. Ils lui répondirent que c’était comme si un frère plus jeune se mariait avant son frère aîné, car il était en possession d’un royaume qui de droit appartenait à son frère Devapi.

« Que dois-je faire ? dit le radja. Il lui fut répondu : Jusqu’à ce que Devapi déplaise aux dieux en s’écartant du sentier de la justice, le royaume est à lui, et c’est votre devoir de le lui abandonner. Asmarisarin, ministre du roi, ayant entendu cela, réunit un grand nombre d’ascètes qui enseignaient des doctrines contraires à celles des Vedas, et les envoya dans la forêt. Là, ayant trouvé Devapi, ils pervertirent le prince, qui était simple d’esprit, et l’amenèrent à partager leurs opinions hérétiques. Pendant ce temps, Santana, étant très affligé d’avoir commis le péché que lui avaient reproché les brahmanes, les envoya devant lui dans la forêt, puis s’y rendit lui-même pour restituer la couronne à son frère aîné. Quand les brahmanes arrivèrent à l’ermitage de Devapi, ils l’informèrent que, conformément aux doctrines des Vedas, la succession au trône était le droit du frère aîné ; mais il entra en discussion avec eux, et il mit en avant divers argumens qui avaient le défaut d’être contraires à la doctrine des Vedas. Ayant ouï ces choses, les brahmanes retournèrent vers Santana, et lui dirent : Ô radja, tu n’as plus à t’inquiéter de tout ceci ; la sècheresse touche à sa fin. Cet homme est dégradé de son rang,

  1. Vishnu-Purana, pag. 458.