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SCHILLER.

Lorsque la guerre de sept ans éclata, il demanda à reprendre du service, et fut admis dans le régiment du prince Louis de Wurtemberg avec le grade d’adjudant. Une maladie contagieuse ayant atteint ce régiment en Bohême, le père de Schiller revint à son premier état de médecin. Il administrait des remèdes aux malades, et, dans son zèle tout chrétien, remplissait en même temps auprès d’eux les devoirs de prêtre. Il leur faisait réciter leurs prières, et les encourageait dans leurs souffrances par ses exhortations et par le chant des psaumes. De la Bohême il passa avec un autre régiment dans la Hesse et la Thuringe ; puis, à la fin de la guerre, il se retira à Louisbourg, et s’y livra à des travaux d’agriculture. Peu de temps après, le duc Charles de Wurtemberg lui confia l’inspection des jardins qu’il venait de faire établir près de Stuttgardt, autour du riant château qu’il appelait sa Solitude. Ce fut là que Gaspard, revêtu du titre de major, estimé du prince, heureux des devoirs qu’il avait à remplir, termina dans une douce aisance une vie qui avait été souvent flottante et souvent traversée par d’amères inquiétudes. C’était un homme d’une nature ferme, sévère et un peu rude, mais d’un esprit droit, actif et surtout essentiellement pratique. Il avait fait lui-même en grande partie son éducation, et il a écrit sur la culture des arbres et des jardins des livres qui ne sont pas sans mérite. Quand son fils vint au monde, il le prit dans ses bras, et l’élevant vers le ciel : « Dieu tout-puissant, s’écria-t-il, accorde les lumières de l’esprit à cet enfant, supplée par ta grace à l’éducation que je ne pourrai lui donner. » Il vécut assez pour jouir des succès littéraires de son fils, dont il avait, dans sa pauvreté, salué la naissance avec une joie mêlée d’une tendre sollicitude. Un heureux jour pour le vieillard était celui où il apprenait qu’on devait imprimer à Stuttgardt un nouvel ouvrage de son cher Frédéric. Le digne homme s’en allait aussitôt chez l’éditeur, prenait le manuscrit d’une main tremblante, et le lisait avec une vive émotion. Pour mieux comprendre l’esprit de ces compositions poétiques, il abandonnait ses livres sur l’agriculture et lisait des œuvres de littérature, d’histoire et de critique. L’amour paternel lui ouvrait un nouveau monde d’idées où jamais auparavant son ame simple et peu rêveuse n’avait pénétré. De chirurgien il était devenu jardinier ; sur la fin de sa vie, de jardinier il se faisait littérateur. Il mourut en 1796. La lettre que Frédéric écrivit à sa mère en apprenant que son père n’était plus est le plus bel hommage rendu à sa mémoire. « Quand même, dit-il, je ne songerais pas à tout ce que mon bon père a été pour moi et pour nous tous, je ne pourrais, sans une douloureuse