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émotion, penser à la fin de cette vie laborieuse et utile, si pleine de droiture et d’honneur. Non, en vérité, ce n’est pas une petite chose que de rester si fidèle à soi-même pendant une longue et pénible existence, et de quitter le monde, à l’âge de soixante-treize ans, avec un cœur aussi pur et aussi candide. Que ne puis-je, au prix de toutes ses douleurs, finir ma vie aussi innocemment qu’il a fini la sienne ! car la vie est une rude épreuve, et les avantages que la Providence m’a accordés sur lui sont autant de dons périlleux pour le cœur et la vraie tranquillité. Notre père est heureux à présent, nous devons tous le suivre. Jamais son image ne s’effacera de notre cœur, et le regret que nous cause sa perte ne peut que nous lier plus intimement l’un à l’autre. »

La mère de Schiller, Élisabeth Kodweis, était une femme d’une nature tendre et pieuse, qui tempérait par la sérénité de son esprit et la douceur de ses manières ce qu’il y avait de trop rude et de trop inflexible dans le caractère de son mari. Jeune, elle manifestait un vif penchant pour la poésie et la musique. La pauvreté de ses parens ne leur permit pas de lui donner une éducation qui répondît à ces dispositions ; mais elle recherchait avec avidité tout ce qui pouvait entretenir en elle le sentiment poétique, et ses compagnes la regardaient comme une jeune fille enthousiaste et rêveuse. On a conservé d’elle quelques vers qu’elle adressait à son mari le jour du huitième anniversaire de leur mariage. Traduits dans une autre langue, ces vers ne peuvent être regardés que comme l’expression bien simple d’une pensée assez commune ; mais, dans l’original, ils sont remarquables par la facture de la strophe et l’harmonie du rhythme. « Oh ! si j’avais, dit-elle, trouvé dans la vallée des vergissmeinnicht et des roses, je t’aurais tressé avec ces fleurs, pour cette année, une couronne plus belle encore que celle du jour de notre mariage.

« Je m’afflige de voir le froid empire du nord. Chaque petite fleur se glace au sein de la terre refroidie ; mais ce qui ne se glace pas, c’est mon cœur aimant, qui est à toi, qui partage avec toi les joies et les douleurs. ».

Nul doute, dit M. G. Schwab, qui le premier a cité ces vers, que Schiller ne dut le sentiment de la forme poétique à sa mère et aux livres choisis dont elle faisait sa lecture habituelle. — Il lui devait aussi les dispositions pieuses qui, dès ses plus jeunes années, se manifestèrent en lui. Jusqu’à l’âge de quatre ans, il resta avec elle à Marbach ; son père était alors retenu à l’armée par la guerre de sept ans, et la pauvre mère soignait avec une touchante tendresse l’enfant qui était venu