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relles et acquises que l’on possède sont censées recevoir un ordre qui mène directement à la recherche et à l’invention de la vérité.

La première colonne renferme les neuf sujets auxquels se rapporte tout ce qui existe, soit divin, humain, imaginaire, animal, végétal, élémentaire ou artificiel, tout ce dont on se propose de connaître la nature, l’objet et la fin. La seconde et la troisième colonnes servent à éveiller l’attention sur les qualités et les attributs que possèdent ou dont sont privés les sujets. Enfin dans la quatrième sont inscrites les neuf formules possibles de questions. Avec le secours de ces formules, relatives à l’existence, à l’effet, à la cause, à la qualité, etc., tout ce que l’entendement humain comprend est mis en mouvement dans toutes les directions.

Mais revenons au récit de la vie de Raymond Lulle. Raymond avait obtenu, en 1311, deux succès importans. D’abord le pape Clément V, Philippe-le-Bel et Jayme II avaient établi des écoles pour les langues orientales ; puis l’Université de Paris, par un acte authentique, adoptait et recommandait l’usage de sa méthode et de ses doctrines. Aussi l’espoir de ruiner les doctrines de Mahomet et d’y substituer celles du christianisme, était-il devenu plus vif que jamais dans son cœur.

À partir de cette époque, son existence, déjà si aventureuse, va le devenir encore davantage. Le théologien, le philosophe va nous apparaître pendant dix-huit mois (mars 1312 — octobre 1313), comme un adepte de la science hermétique, exclusivement occupé de chimie et de métallurgie.

L’Université de Paris, arbitre suprême alors par toute l’Europe en matière de science, avait accru singulièrement la célébrité du docteur illuminé, en approuvant ses doctrines. Tous les souverains désiraient le voir et l’entretenir. Comme il était encore à Vienne, où se tenait le concile, il reçut des lettres d’Édouard II ou V[1], roi d’Angleterre, et de Robert Bruce, roi d’Écosse, par lesquelles chacun de ces souverains l’invitait à se rendre près de lui. Raymond Lulle, dont l’idée fixe était la conquête de la Terre-Sainte et la ruine de la loi de Mahomet, se persuada, en recevant les lettres flatteuses de ces deux princes, qu’ils voulaient se servir de lui pour combiner et entreprendre quelque nouveau projet contre les infidèles de la Palestine. Malgré ses soixante-dix-sept ans, il passa donc en Angleterre et se mit à la discrétion d’Édouard.

  1. Voyez, dans l’Art de vérifier les dates, la double manière de compter les Édouard d’Angleterre.