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EXPÉDITION DE GOMEZ.

si grand usage dans cette guerre, avait présenté l’engagement d’Escaros comme une victoire complète ; Gomez était, disait-on, entièrement détruit, son bagage enlevé, ses soldats tués, pris ou dispersés. On ne doutait pas à Madrid de ce nouveau triomphe des troupes de la reine, quand un bruit inoui, inconcevable, se répandit comme l’éclair : Gomez avait traversé en silence les plaines stériles et inhabitées de la Vieille-Castille, et il était apparu tout à coup à Palencia, entre Burgos et Valladolid, où le général Ribero avait été surpris et forcé à une retraite précipitée.

La terreur fut grande dans les deux Castilles à cette nouvelle. De Palencia, Gomez pouvait se porter à son gré dans tous les sens ; partout on pouvait craindre de le voir arriver à l’improviste, et de nombreuses alertes l’annoncèrent souvent en effet sur plusieurs points à la fois. Dans l’ignorance où l’on était de ses véritables intentions et de la force réelle de son corps d’armée, on lui prêtait les projets les plus sinistres et les moyens les plus formidables. Quant à lui, au milieu de cet effroi universel qu’il excitait dans un rayon de cinquante lieues, convaincu de l’impossibilité où il était de résister à une attaque, il ne songeait qu’à franchir le plus promptement possible, avec ses trois mille hommes et son convoi attelé de bœufs, ces régions éminemment dévouées à la monarchie nouvelle, pour se rendre dans des provinces plus favorables à Charles V. Dans sa marche rapide et prudente qui contrastait singulièrement avec le bruit lointain qu’elle laissait après elle, il évitait les grandes villes suivait les routes les plus détournées, et se dirigeait à grandes journées vers les confins des royaumes d’Aragon et de Valence, où il espérait faire sa jonction avec les partisans carlistes qui battaient le pays.

Heureusement pour lui, l’Espagne constitutionnelle passait en ce moment par une de ces crises révolutionnaires qui ont été les plus puissans auxiliaires de la cause absolutiste. Les funestes évènemens de la Granja venaient d’avoir lieu. La mère d’Isabelle, doublement insultée comme femme et comme reine, avait été contrainte par la violence d’accepter la constitution de 1812. Le brave général Quesada, pour avoir maintenu l’ordre dans la capitale au milieu des circonstances les plus critiques, avait été assassiné dans une auberge de village par des nationaux. Le plus affreux désordre régnait partout ; les troupes n’obéissaient plus à leurs chefs ; les autorités des provinces étaient déposées ; le gouvernement nouveau, qui n’en était encore qu’à ses premiers jours, n’avait pas eu le temps de faire réaction lui-même à la désorganisation dont il était sorti. Cette situation