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La colonne expéditionnaire se remit donc en marche le 15 septembre, après avoir expédié sur Cantavieja les prisonniers qu’elle traînait à sa suite depuis Jadraque. Cabrera, Quilez et el Serrador partirent avec elle, mais en murmurant.

Beaucoup d’exagérations et d’erreurs ont été répandues à cette époque par les relations passionnées des journaux sur la nature des rapports de Gomez avec les pays qu’il traversait. Il importe de les rectifier, dans l’intérêt de la vérité. Gomez n’était pas, comme on l’a dit, un chef de bandits, c’était un véritable général à la tête d’une division régulière. Partout où il passait, il avait soin de faire rentrer les contributions en retard, et quelquefois il lui arrivait de frapper des impôts extraordinaires ; mais tout cet argent était perçu avec les formes administratives et remis entre les mains des agens du trésor qui suivaient l’armée. Il avait établi parmi ses troupes une discipline sévère ; il avait l’habitude de leur rappeler dans ses ordres du jour que les défenseurs de la religion et du droit devaient se distinguer par une conduite exemplaire. Si des excès ont été quelquefois commis par des pillards qui s’étaient joints à sa colonne, il ne peut en être responsable. Ce qu’on a dit du butin que son armée ramassa a été fort exagéré ; d’ailleurs ce butin a pu être considérable sans qu’il ait jamais cessé d’être légitimé par le droit de la guerre, exercé avec mesure.

Il n’a jamais sévi que contre ceux qui résistaient ; encore s’est-il souvent montré généreux envers des prisonniers qu’il avait forcés de se rendre à discrétion. Il n’a ensanglanté son drapeau par aucune de ces cruautés inutiles que tous les partis ne se permettent que trop souvent en Espagne. Partout il déposait les municipalités, désarmait les gardes nationales, détruisait les moyens de résistance, s’emparait des munitions et des armes qu’il distribuait à ses partisans. Là s’arrêtait son action politique ; point de violences personnelles, point de persécutions. Sa modération n’a pas peu contribué à le brouiller avec les hommes ardens qui l’avaient rejoint à Utiel, et qui concevaient tout autrement la guerre civile. De son côté, il leur fit peut-être trop sentir la distance qu’il y avait, à ses yeux, entre le commandant d’une troupe réglée et des chefs de guérillas.

L’armée se dirigea d’abord sur Albacete, dans le royaume de Murcie ; elle fit ensuite un coude vers le nord et se jeta dans la Manche pour tourner les montagnes escarpées de la Sierra-Morena, qui séparent l’Andalousie du reste de l’Espagne, et les aborder par leur versant oriental. Une rencontre semblable à celle de Jadraque,