Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
REVUE DES DEUX MONDES.

Les mêmes ordonnances qui prescrivaient jusque dans les plus petits détails les mesures de subordination réglaient aussi le costume des élèves. Ceux de la seconde classe n’étaient pas astreints à de grands frais de toilette ; mais ceux de la première portaient un habit bleu clair, avec le collet, les revers et les paremens de pluche noire, des culottes blanches, un petit chapeau à trois cornes, deux papillotes de chaque côté et une fausse queue d’une longueur déterminée par les règlemens. Il y avait en outre un autre costume pour les jours de fête, et, dans les grandes parades, les élèves de la seconde classe devaient tous être en uniforme comme les cavaliers. Le prince attachait la plus grande importance à ce ridicule costume. On rapporte qu’un jour, en parlant d’un élève dans l’incroyable dialecte mêlé de français et d’allemand qui régnait alors dans les cours d’Allemagne, il lui rendit ce singulier témoignage de satisfaction : « Je déclare que M… est le meilleur élève de l’établissement pour la conduite comme pour la vergette. »

En sa qualité de fils d’officier, Schiller fut admis dans la première classe. Il avait le corps maigre et élancé, le cou et les bras longs, les jambes arquées, le visage pâle, parsemé, comme celui de sa mère, de taches de rousseur, le nez fin et allongé, les lèvres minces, le contour des yeux un peu enflammé, et les cheveux tirant sur le roux. Plus tard, quand sa physionomie eut pris un caractère déterminé, on admirait l’expression touchante de son regard, la noblesse de son front, le mouvement énergique de ses lèvres ; mais alors il n’était rien moins que beau et élégant. Qu’on se représente l’étrange aspect qu’il devait avoir avec ses cheveux roux et ses jambes effilées, portant un petit chapeau, une queue et des papillotes. Ce n’était là toutefois qu’un des moindres désagrémens de sa nouvelle situation. Ce qu’il y eut de douloureux, de cruel pour lui, enfant de la nature, élève chéri d’une mère intelligente et pleine de bonté, ce fut de se voir placé sous le joug de cette discipline militaire, soumis à la baguette d’un sergent, condamné, sous peine d’une rude punition, à ne pas s’écarter d’une ligne des leçons qui lui étaient prescrites, obligé d’avoir recours à la ruse, à la dissimulation, pour écrire une lettre à un ami, ou lire un autre livre que ses livres d’étude. Toute sa nature de jeune homme libre, poétique, enthousiaste, se révolta contre ce régime rigoureux et pédantesque. Son imagination, grossissant encore tout ce qui choquait ou fatiguait sa pensée, donna le nom d’esclavage à ce que d’autres n’auraient peut-être appelé qu’une rigide contrainte, et dès ce moment il amassa dans son cœur cette haine