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probables, si on veut, plus ou moins improbables. Toujours est-il que rien de tout cela n’est impossible. Il serait facile d’ajouter à ces hypothèses d’autres hypothèses également graves, et toutes pouvant prochainement réaliser un grand danger pour les intérêts français. Ce serait agir précipitamment que de se placer dans une de ces hypothèses comme dans une réalité. Ce serait agir plus légèrement encore, ce serait exagérer l’amour de la paix, que de se persuader qu’il faut se gouverner comme si aucun danger de cette nature n’était possible.

Enfin il ne faudrait pas se faire un épouvantail des périls d’une résistance inébranlable, dans le cas où elle deviendrait nécessaire. Ce serait sans doute un grand malheur que la guerre ; les pertes seraient énormes pour tous ; la prospérité publique et le bonheur privé en recevraient de rudes atteintes. Bien coupables seraient ceux qui pourraient appeler la guerre de gaieté de cœur, non pour défendre des intérêts bien constatés, des droits sacrés, mais pour aller à la recherche d’un mieux chimérique et contestable. Mais si le désir de la guerre à tout prix serait une démence, l’horreur désordonnée de la guerre serait plus qu’une faiblesse. La saine politique repousse également ces deux sentimens, et il lui serait difficile de dire quelle est, de ces deux exagérations, celle qui en définitive serait la plus funeste au pays. Certes les forces des alliés sont grandes ; ce serait un enfantillage que de chercher à se faire illusion sur ce point. Il ne faut pas oublier cependant que la guerre leur est encore plus à craindre qu’à nous, qu’ils n’ont pas notre puissante unité ; que plusieurs d’entre eux ont infiniment plus à perdre qu’ils ne peuvent espérer de gagner. Il y aurait donc une sorte de faiblesse à penser que toute démarche ferme et résolue de la France (nous ne songeons jamais qu’à des démarches raisonnables, fondées), pourrait faire éclater la guerre. On s’est permis de dire de nous que nous ne la ferions dans aucun cas ; nous aimons à être polis ; nous disons que, quoi qu’on dise, nul n’entamera une guerre avec la France tant qu’elle n’exigera rien d’injuste et d’exorbitant. L’étranger se rappelle peut-être mieux que nous l’histoire des coalitions. Au fond, on peut affirmer que, depuis 1789, la France n’a jamais été vaincue par une coalition. Il a fallu qu’une sorte d’aveuglement livrât cinq cent mille hommes et cinquante mille chevaux aux glaces impitoyables du Nord ; il a fallu que les Français allassent eux-mêmes, je dirais presque se suicider dans les plaines désolées de la Russie, pour que le pied de l’étranger osât fouler le sol de la France sans y trouver un tombeau.

Encore une fois, nous sommes convaincus qu’aucune exagération ne sortira des délibérations des chambres. Elles ont devant elles une administration qui se trouve dans une position délicate vis-à-vis de l’étranger. Il appartient aux chambres de faire sentir au gouvernement la force et l’appui du pays. Qu’on s’isole ou qu’on négocie, il importe que l’Europe sache que la France aime la paix sans faiblesse, et qu’elle préférerait les calamités de la guerre à la honte d’une injustice lâchement endurée.

Pour que cet appui soit réel, incontestable, les chambres, qui ne peuvent