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REVUE. — CHRONIQUE.

guère sans d’énormes inconvéniens, déterminer elles-mêmes des cas de guerre, auront à se prononcer sur la question de l’armement. Les armemens déjà faits ou ordonnances seront-ils maintenus ? Les armemens seront-ils augmentés ? Sur ces questions, les chambres peuvent faire une réponse explicite ; elles peuvent aussi garder le silence jusqu’à la discussion du budget. Il serait, ce nous semble, fâcheux que la législature ne s’expliquât pas d’abord et franchement, du moins sur la première question. On peut à la rigueur différer d’opinion sur la question de savoir si l’armement doit ou non être augmenté. L’affirmative suppose une politique plus active, la négative une politique plus résignée. Dans le premier système, tout en désirant la paix, on croit la guerre plus probable ; dans le second, c’est la probabilité de la paix qui domine ; la guerre ne se présente que comme une éventualité fort éloignée. Mais dans l’un et dans l’autre, la France donne signe de vie, et ne se place pas en face des évènemens spectatrice tout-à-fait insouciante et désarmée. Refuser les armemens déjà faits ou ordonnancés, ce serait déclarer que la France est résignée à tout, qu’il n’y a pas de bornes à sa longanimité et à sa patience. Les bornes existent cependant ; elles existent pour tout le monde. Que peuvent désirer les amis les plus dévoués de la paix ? Qu’on ne tire pas l’épée pour la Syrie ? Qu’on ne la tire pas même pour l’Égypte, si le pacha s’abandonne lui-même au torrent qui l’emporte, si une insurrection lui enlève tout pouvoir, et si le sultan redevient effectivement lui-même maître, possesseur et gardien de ces provinces ? Soit : mais après ? Si des garnisons étrangères s’établissaient en Égypte ou en Syrie ? Si des concessions fâcheuses étaient imposées à la Porte ? Si des priviléges onéreux pour nous lui étaient arrachés ? Que de faits peuvent se réaliser ! que d’accidens peuvent arriver !

En attendant, nous espérons que notre gouvernement préférera une politique d’isolement, négative, d’observation armée, à une politique qui nous rendrait après coup complices du traité du 15 juillet. Encore une fois, la France ne peut signer un traité qu’autant qu’il lui sera fait des concessions notables. Ne nous pressons pas d’en finir. Montrons que la plus essentielle des qualités de l’homme d’état ne nous manque pas ; sachons attendre. Si on ne veut pas attendre avec six cent mille hommes, qu’on attende du moins avec quatre cent cinquante mille hommes sous les armes, avec des arsenaux bien garnis, des places fortes réparées, et une flotte bien équipée.

Cette position d’observation armée, cet isolement qui, ne se mêlant de rien, a cependant l’œil à tout, est une politique qui ne manquerait pas de grandeur si on savait la garder avec dignité et en augmentant nos forces.

Mais cela demande à l’intérieur du calme, de l’union, des forces qui s’organisent et se coordonnent, et non des forces qui s’agitent, s’entrechoquent et se détruisent l’une l’autre. C’est là le troisième écueil, hélas ! le plus difficile à éviter. La polémique nous envahit et nous dévore. On dirait que nous sommes chargés de nous donner en spectacle pour réjouir l’étranger. Il est à craindre que les prochains débats ne se ressentent de cette fâcheuse disposition des