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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

ou sur l’épaule, vêtus de mauvais surtouts à capuchon, dans lesquels ils entassent leur repas, et s’arrêtant sur le marché pour compter leurs emplettes. De grands obstacles s’opposent au maintien et à l’organisation d’une armée permanente. Toutes les provinces ne sont pas également approvisionnées d’orge, et la paille manque. Pour y suppléer, on n’a que les pâturages. L’armée ne peut donc se grouper sur un seul point qu’à deux époques fixes de l’année, et elle ne peut séjourner long-temps au même lieu. La solde de la cavalerie est trop modique pour que le soldat nourrisse lui-même son cheval. Ainsi une campagne se trouve retardée ou suspendue au milieu des circonstances les plus urgentes ; point de grande armée permanente, point de campement fixe. Pour comprendre les résultats d’une levée en masse, et les funestes effets qu’entraînerait, pour tout l’empire, une guerre continue et sérieusement engagée, il faut réfléchir que l’entretien d’une armée entraverait tous les travaux de l’agriculture, et se rappeler combien les habitans du Maroc ont peu de moyens pour conserver d’une année à l’autre les récoltes, quand elles sont abondantes.

Occupons-nous maintenant du matériel militaire de ce royaume. Les fonderies de canons et d’obus que Muley-Ismail avait établies à Tétouan, sous la direction d’ouvriers européens, n’existent plus depuis long-temps. Les fabriques de fusils et de sabres qui existent à Fez, à Méquenez, à Maroc et à Rabat, emploient un si petit nombre d’ouvriers, qu’elles ne suffisent même pas aux besoins de l’état de paix, et leurs produits sont misérables. Les sabres ne valent absolument rien. À des lames anglaises de pacotille on adapte seulement une poignée et un fourreau moresques. Le canon des fusils est solide ; mais l’immense platine de ces armes est très vicieuse, et la crosse souvent fragile. Pour toutes les fournitures d’armes et pour la poudre à canon, c’est à l’étranger qu’on s’adresse. La poudre fabriquée dans le pays, mélange grossier de soufre, de salpêtre brut et de mauvais charbon, que l’on réduit en gros grains anguleux, ternes, sans force et difficiles à conserver, laisse, en brûlant, un résidu qui, dès les premiers coups, met le fusil hors d’usage.

Muley-Abderraman eut, il y a quatre ans, l’idée d’exploiter une mine de soufre qui existe dans les montagnes de Fez et que l’on dit très riche, ainsi que les grands dépôts de salpêtre qu’il possède. Il consulta l’auteur de ce travail relativement à l’établissement projeté d’usines pour le raffinage et la fabrication de la poudre. Le succès d’une telle entreprise pouvait nuire beaucoup à notre colonie, et nos