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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

Peu à peu les royaumes de Fez et de Maroc absorbèrent tous les autres. Les rois tributaires de Tlemecen et de Tunis secouèrent le joug. Les villes de Rabat et de Salé devinrent indépendantes. La lutte sanglante dont l’empire actuel du Maroc devait sortir, lutte concentrée long-temps dans la rivalité de Fez et de Maroc, occupa tout l’espace du XIIe au XVIIIe siècle ; cinq siècles de guerres, qui ont dû laisser chez les deux peuples des traces profondes.

Il n’existe dans cet empire sans unité qu’une circulation vitale toute artificielle, et l’état normal ne se manifeste qu’aux lieux même que la présence du sultan vivifie. Se trouve-t-il au nord, le sud est plein de soulèvemens, de guerres, d’anarchie, de spoliations exercées sur une seule tribu par deux tribus liguées, qui se disputeront bientôt, le fer en main, les dépouilles de la tribu vaincue. On intercepte les routes ; le commerce intérieur s’arrête. Le sultan se porte-t-il dans le sud pour rétablir l’ordre et châtier les coupables, aussitôt les tribus du nord s’insurgent, avec moins d’impétuosité peut-être, mais avec la même opiniâtreté, refusent de payer le tribut, chassent leur gouverneur ou l’égorgent. Ballotté du nord au sud et du sud au nord, le gouvernement oscille entre les trois résidences de Fez, de Méquenez et de Maroc.

Muley-Abderraman a un peu ralenti ce mouvement dangereux, en confiant à son fils aîné l’administration du royaume dont il est obligé de s’éloigner, et en partageant le gouvernement avec lui. L’héritier présomptif du parasol impérial réside principalement à Maroc depuis quelques années ; son père s’éloigne rarement de Fez, dont le peuple lui inspire peu de confiance.

La province limitrophe de Chaus, située à quelques lieues de Tlemecen, séparée par une petite rivière que défendent à peine les châteaux de Tesa et Ouchda, est habitée par des tribus d’une fidélité équivoque et contre lesquelles le sultan a déployé toutes ses forces il y a deux ans. De la frontière à Fez, on compte deux ou trois journées de marche. Fez, très mal fortifiée, prétend au privilége proverbial d’être toujours la première à ouvrir ses portes aux usurpateurs. Les émissaires du marabout Abd-el-Kader l’enflamment et l’irritent ; ils en ont obtenu d’éclatantes preuves de sympathie, et c’est la seule ville sur laquelle son ambition puisse compter pour fonder un nouvel état, la seule qui puisse devenir sa métropole politique et religieuse.

Abd-el-Kader a besoin de la guerre ; le sultan a besoin de la paix. La suprématie de son trône, établie depuis le IXe siècle, s’est éten-